Équateur : S’agit-il d’une crise locale ?

Le quotidien des Equatoriens a été brutalement bousculé le 8 janvier dernier. Mutineries dans les prisons, prise d’otages,  occupation en direct d’un plateau de télévision, ont sidéré. Les autorités ont décrété l’état d’exception, puis l’état de guerre. Les auteurs de ces graves incidents ont été qualifiés de « terroristes » par le Chef de l’Etat. L’armée a été mobilisée pour rétablir la paix intérieure. 

Photo : Amazonas

Les titrailles de la presse internationale des 8-12 janvier ont circonscrit l’événement, présenté comme un spectaculaire fait divers équatorien : « Brutale série terroriste, les cartels de la drogue ont déclaré la guerre à l’Equateur » (der Spiegel, Allemagne) ; « Le crime s’est emparé du pays » (Radio Rivadavia, Argentine), « Dans un Equateur en guerre contre les gangs, Guayaquil devient une ville fantôme » (Le Devoir, Canada, Québec) ; « Alerte en Equateur » (El Mercurio, Chili); « Terreur à Guayaquil » (El Pais, Madrid), « Chaos en Equateur » (New York Times, Etats-Unis). « L’Equateur dans le chaos ; saccages, enlèvements, mutineries » (Corriere della Sera, Italie). Manchettes de même tabac dans la presse française, « Les gangs de narcotrafiquants plongent l’Equateur dans le chaos » (Les Echos) ; « L’Equateur au bord de l’abîme », (L’Express) ; « L’Equateur sombre dans une spirale de violence » (Libération). 

Le recours aux forces armées, chargées par définition de la défense des frontières, met le doigt sur le volet transnational de l’affaire. Rien de nouveau sous le soleil, l’Equateur n’est-il pas depuis la mission géodésique de La Condamine, en 1740, scientifiquement assis sur la moitié du monde ? Équateur géographique certainement, mais Equateur,  ouvert sur les Sud et les Nord, pour le bien comme pour le mal. 

L’ennemi, cible des militaires équatoriens, est certes local, le nom de différentes bandes délinquantes et de certains de leurs chefs a été publié urbi et orbi. Mais ces hors la loi organisés, ne vivent pas en vase clos. Ils sont la partie logistique locale de réseaux internationaux concurrents, vivant de trafics divers, dont celui des stupéfiants. 

Bolivie, Colombie et Pérou, proches et pour deux d’entre eux frontaliers, produisent et traitent la feuille de coca. Groupes criminels colombiens, balkaniques et surtout mexicains maîtrisent l’accès aux marchés de consommation étasunien et européen. Chefs d’orchestre de ce commerce illicite, ils ont trouvé en Equateur une plateforme de distribution internationale dotée d’une gamme d’avantages comparatifs exceptionnels. L’Equateur, à cheval sur deux hémisphères, entre canal de Panama et détroit de Magellan, dispose de nombreux ports bien équipés. Premier producteur mondial de bananes, l’Equateur exporte des bananes Cavendish, rouges et frécinettes, tous azimuts, de l’Allemagne aux Etats-Unis, de la Chine à la Russie. Des milliers de conteneurs, difficiles à contrôler, sont débarqués à New York, Rotterdam, Saint-Pétersbourg ou Le Havre. Le pays, modeste, n’a pas de capacités de surveillance policière, douanière, à la hauteur de l’enjeu. Qui plus est l’Etat équatorien, ballotté par une succession de crises intérieures, économiques, politiques, éthiques et sociales, aggravées par des gouvernants convaincus des vertus de l’équilibre budgétaire, ne dispose pas des moyens lui permettant d’affronter un tel défi sécuritaire. Les trois derniers chefs d’Etat ont drastiquement compressé les budgets des forces de l’ordre et ceux des prisons. Facteur aggravant, la faiblesse de l’Etat a facilité l’acceptation sociale de la corruption, l’argent des trafiquants de drogue. La monnaie locale, le sucre, ayant été remplacée par le dollar il y a vingt-trois ans permet bien des transactions, en dépit de nouvelles technologies financières. 

Bandes d’Albanais, Colombiens, Mexicains ont pris langue avec des opérateurs locaux, afin d’organiser l’acheminement de l’offre, la drogue, vers les régions consommatrices. Ce débarquement a été accéléré par un événement extérieur : la signature en 2016, d’un accord de paix entre les autorités colombiennes et la guérilla des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Les cartes du marché de la coca colombienne ont alors été redistribuées dans la violence. L’existence d’une dissidence des FARC, au sud de la Colombie,  a dès 2018, contaminé la province équatorienne d’Esmeraldas. Et de fil en aiguille le Pacifique équatorien jusqu’à la métropole de Guayaquil. 

L’armée a donc été mobilisée pour affronter un ennemi intérieur connecté à de nombreux alliés extérieurs. Elle a aussi été déployée aux frontières pour faciliter l’expulsion vers la Colombie et le Pérou de plusieurs milliers de détenus condamnés pour trafic de stupéfiants. Cette décision a été mal reçue à Bogota et à Lima qui, pour en empêcher la mise en œuvre, ont aussi annoncé le verrouillage de leurs frontières et un déploiement de soldats.

Les communiqués de compassion et de soutien ont été rapidement dégainés. Ils sont venus des pays pourvoyeurs d’intervenants illégaux, présents en Equateur : Le Mexique terre des « cartels » Jalisco Nueva Generacion (CJNG), et Sinaloa, la Colombie et le cartel du Golfe. Le Brésil a trouvé là un moyen de confirmer le jeune Consensus de Brasilia. Les 11 pays de cet ensemble créé à l’initiative de Lula le 30 mai 2023, de l’Argentine de Javier Milei au Venezuela de Nicolas Maduro, ont collectivement adressé le 10 janvier  un message de soutien à leur collègue équatorien Daniel Noboa. Beau succès diplomatique pour Itamaraty (Ministère des Affaires Étrangères du Brésil). 

Reste à gérer la suite concrète attendue par Quito à ces bonnes paroles. Dans l’immédiat Daniel Noboa entend prendre des raccourcis démocratiques en militarisant sa sécurité intérieure, sur le modèle du salvadorien Nayib Bukele. L’armée sera au cœur du processus de rétablissement de l’autorité de l’Etat, des prisons de haute sécurité, façon Bukele, devraient être mises en chantier. 

Du reste du monde sont venus des messages hors sol. Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, s’est déclaré « solidaire du peuple équatorien ». Bruxelles, a condamné les violences commises par les délinquants, les qualifiant d’« attaque directe à la démocratie ». La Chine a verrouillé son ambassade, fermée jusqu’à nouvel ordre aux visiteurs équatoriens. Les Etats-Unis soucieux de restaurer un pôle d’observation militarisé perdu depuis 2009, ont été plus allant, se déclarant « engagés à renforcer leur coopération ». Une mission du Commandement sud est attendue à Quito.