Les droits autochtones sont toujours sous pression au Congrès du Brésil

Le Congrès brésilien, dominé par des représentants du fameux secteur agroalimentaire, s’est déclaré prêt à engager une lutte sans relâche contre les droits autochtones reconnus par la Constitution nationale de 1988, au détriment de l’environnement et, par conséquent, de ses propres intérêts.

Photo : Ayuya

Une écrasante majorité de 321 députés, contre 137, et de 53 sénateurs, contre 19, ont voté jeudi 14 décembre pour passer outre les vétos du président Luiz Inácio Lula da Silva à la loi dite du Cadre temporel. Mais cette bataille reste inachevée et d’autres sont en cours. L’objectif est d’empêcher que de nouvelles terres soient attribuées aux autochtones et, si possible, de réduire celles qui sont déjà délimitées. Au Brésil, la population autochtone s’élève à 1,7 million de personnes, et correspond à 0,83 % des 203 millions de Brésiliens. Pour ce faire, les législateurs connus sous le nom de « ruralistes » ont réussi à faire adopter par la Chambre des députés, le 30 mai, une loi reconnaissant comme territoires autochtones uniquement ceux qui étaient occupés par cette population autochtone le 5 octobre 1985, date de la promulgation de la Constitution. Le Sénat a complété l’approbation législative le 27 septembre. Cependant, une semaine plus tôt, la Cour suprême fédérale (STF) avait déjà jugé inconstitutionnel ce cadre temporel. La Constitution parle de « droits originels sur les terres qu’occupent traditionnellement » les autochtones, laissant clairement entendre qu’il ne s’agit pas d’un droit déterminé par une date. Malgré cela, 43 sénateurs ont approuvé la loi, en contradiction avec la Constitution et la STF.

Conformément à la décision du tribunal, le président Lula a opposé son veto au cadre et à 46 autres dispositions de la législation le 20 octobre, dans un défi lancé aux législateurs qui a maintenant reçu une réponse avec l’annulation des vetos. La STF, dernière instance judiciaire et gardienne de la Constitution, sera de nouveau appelée à trancher le différend entre les pouvoirs législatif et exécutif. Au moins deux partis de gauche et la ministre des Peuples autochtones, Sonia Guajajara, ont annoncé qu’ils comptaient saisir la plus haute juridiction pour annuler la loi en raison de son inconstitutionnalité. La persistance de ces batailles révèle cependant la corrélation entre les forces défavorables aux peuples indigènes et au gouvernement de Lula dans l’actuel Congrès, et une majorité conservatrice qui tend à rejoindre l’extrême droite sur des questions telles que les droits des minorités ou celles impliquant des valeurs morales, comme l’avortement ou les drogues. L’ancien président d’extrême droite Jair Bolsonaro a été vaincu dans sa tentative de réélection en 2022, mais il a réussi à amener au Congrès un grand nombre de députés et de sénateurs. Son Parti libéral est la principale force à la Chambre des députés, avec 99 membres. Le Frente Parlamentario de la Agropecuaria, le groupe dit « ruraliste », qui représente les intérêts de l’agro-industrie et des grands propriétaires terriens, compte 300 députés, sur un total de 513 à la Chambre, et 47 parmi les 81 sénateurs, selon la publication numérique « De olho nos ruralistas » (Du point de vue des ruralistes).

Il est pratiquement certain que le Tribunal fédéral réitérera sa décision selon laquelle le cadre temporel de la délimitation des territoires indigènes est inconstitutionnel. C’est pourquoi certains législateurs ruraux ont annoncé qu’ils allaient proposer une modification de la Constitution pour y inclure le cadre et in fine le rendre définitif. Toutefois, certains experts juridiques ont déjà précisé que la constitution ne pouvait pas non plus être modifiée dans ce cas. Il s’agit de droits fondamentaux d’un secteur de la population brésilienne qui font donc partie de la clause dite « de pierre », c’est-à-dire immuable, de la Constitution. Seule une nouvelle loi fondamentale pourrait la modifier. Quoi qu’il en soit, c’est une blessure ouverte qui aggrave les conflits déjà nombreux entre le Congrès et la STF. La question autochtone vient s’ajouter à des sujets litigieux tels que la légalisation de l’avortement jusqu’à la douzième semaine de grossesse, la discrimination des consommateurs de drogues et un processus contre les fausses nouvelles, qui empoisonnent les relations entre les deux pouvoirs. Les législateurs conservateurs accusent la STF d’usurper les fonctions législatives et de perturber l’équilibre et l’harmonie entre les pouvoirs. En guise de représailles, le Sénat a adopté un amendement constitutionnel qui interdit les décisions individuelles, dites « monocratiques », des juges de la Cour suprême, qui se sont multipliées ces derniers temps. Or, cette même Cour avait déjà adopté des restrictions à l’encontre de ce type de décisions. La loi du cadre temporel et l’annulation des vétos présidentiels à cette législation ont été approuvées par une large majorité attribuée au désir de riposter à la Cour suprême fédérale.

Aujourd’hui, les divergences tendent à être aggravées par le fait que le STF ait été accusé d’ingérence dans les fonctions du Congrès et par le fait que la loi en question ne se limite pas à l’horizon temporel des démarcations. Les décisions législatives établissent de nombreux changements en relation avec les territoires indigènes qui menacent la survie des peuples indigènes. Elles permettent, par exemple, l’installation de bases militaires et de centrales hydroélectriques sur leurs terres, sans la consultation préalable requise par la convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Les infrastructures telles que les routes, les chemins de fer et les lignes de transmission électrique peuvent également être construites sans le consentement des groupes indigènes locaux. En outre, la loi facilite les activités économiques jusqu’ici interdites sur les territoires indigènes et leur empiètement par des non-indigènes. La délimitation de nouveaux territoires indigènes sera entravée par l’indemnisation des personnes qui occupent une partie de ces zones, y compris pour les terres enregistrées. Jusqu’à présent, seules les zones les mieux construites étaient indemnisées, et non les terres elles-mêmes. Il est peu probable que le STF annule pour inconstitutionnalité l’ensemble des nouvelles normes approuvées par le Congrès et chaque point pourrait générer de nouvelles controverses avec des tensions institutionnelles.

En conséquence, la question indigène est devenue un facteur de radicalisation dans les luttes de pouvoir et d’instabilité démocratique, remettant en cause la constitution nationale. Tout cela se produit à un moment où les peuples indigènes se voient accorder un certain pouvoir, en particulier au Brésil. Ils ont obtenu leur propre ministère, avec à sa tête une autochtone, Sonia Guajajara, et l’organisme chargé de la politique indigène, la Fondation nationale des peuples indigènes, a été renforcé un peu plus. Dans le contexte d’aggravation de la crise climatique mondiale, ces peuples endossent un nouveau rôle de gardiens de la nature, en particulier des forêts amazoniennes au Brésil, même s’ils ne constituent qu’une petite minorité. Il est intéressant de noter que la principale force qui s’attaque à leurs droits est principalement composée de grands agriculteurs, qui dépendent directement du climat et devraient être les premiers à protéger les forêts. Il est connu que la majeure partie de l’agriculture brésilienne bénéficie des pluies qui proviennent de l’Amazonie et qui sont alimentées par les forêts. Il s’agit de ce que l’on appelle les « rivières volantes », une immense humidité qui se perd en raison de la déforestation de l’Amazonie. Les phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les fortes pluies qui se sont abattues sur le sud du Brésil ces derniers mois, ont entraîné des pertes agricoles estimées à l’équivalent de 5,7 milliards de dollars américains, selon la Confédération nationale des municipalités.En fin de compte, la suppression des droits des indigènes et de la protection de l’environnement affecte directement les exportations agricoles, qui sont vitales pour le Brésil et représentent une grande partie des investissements étrangers. En d’autres termes, les ruralistes conspirent contre leurs propres affaires.