Les 43 disparus d’Ayotzinapa, au Mexique ou au Triangle des Bermudes ? 

Les 26 et 27 septembre 2014, quarante-trois étudiants de l’école normale d’instituteurs d’Ayotzinapa disparaissaient à Iguala, dans l’État mexicain de Guerrero. Le président de l’époque, Enrique Peña Nieto, s’était engagé à faire toute la lumière. Engagement renouvelé par son successeur, AMLO, Andrés Manuel López Obrador.

Photo : Diario Mexicano

Le 24 février 1821, Agustín Iturbide, général des armées fidèles à L’Espagne, changeait de camp et proclamait à Iguala l’indépendance du Mexique. La ville, en reconnaissance nationale, est depuis  honorée du nom d’Iguala de l’indépendance. Distinction contestée et passée sous silence aujourd’hui. Les 26 et 27 septembre 2014 ont abîmé le souvenir de la « glorieuse » journée du 24 février 1821. Les 43 en effet, sont toujours portés disparus le 27 septembre 2023.

Les familles des disparus campent depuis neuf ans sur les Champs-Élysées mexicains, le Paseo de la Reforma. Un anti-monument des 43 a été construit, tout à côté, pour matérialiser leur attente, « Sains et saufs ils les ont attrapés, sains et saufs nous les voulons ». Les familles ont derrière elles neuf ans de revendications, exigeant la vérité, même si elle est rude à entendre. Mais depuis 2014, en dépit d’enquêtes prolongées, de prises de parole des autorités, de couleur politique opposée, PRI de 2014 à 2018, MORENA, depuis le 1er décembre 2018, l’affaire garde ses secrets.

La première version, présentée comme « vérité historique » par les fonctionnaires de Peña Nieto, a été enterrée. Elle privilégiait un règlement de compte entre bandes rivales de narco trafiquants, appuyées par la police municipale d’Iguala. Les étudiants auraient été exécutés selon cette version par les narcotrafiquants du groupe « Guerreros Unidos ». Le maire de la ville avait alors été incarcéré avec son épouse.

Depuis, grâce à un soutien important de la société civile mexicaine, d’expertises médicales et judiciaires extérieures, une investigation parallèle à celle des autorités, menée par le GIEI – le groupe interdisciplinaire des experts indépendants-,  a fait bouger les lignes. Le procureur général des années 2014/2018, Jesús Murillo Karam, responsable du rapport sur la « vérité historique », est sous les verrous depuis le 25 août 2022. Seize militaires, dont deux généraux, ont été incarcérés. La quête de la vérité était il est vrai l’un des engagements de campagne d’AMLO, Andrés Manuel López Obrador. Il a reconnu à un an de la fin de sa mandature, avoir rempli son contrat de cent engagements électoraux, à l’exception d’un seul, faire toute la lumière sur la disparition des « 43 ». 

La Commission pour la vérité et l’accès à la justice sur l’affaire Ayotzinapa, mise en place à sa demande, a remis sa copie en août 2022. La nouvelle version des faits présentée par le sous-secrétaire aux droits de l’homme, Alejandro Encinas, a grosso modo repris le scénario présenté en 2014, centré sur des affrontements entre groupes délinquants locaux. Elle a cela dit élargi l’assiette des  complicités à un certain nombre de militaires stationnés à proximité des lieux du crime. Tout en précisant que les forces armées, comme institution, n’étaient en rien compromises dans les délits commis par certains de ses membres. Les familles et le GIEI ont alors demandé un complément d’enquête. Ils ont été reçus par le président qui leur a promis d’ouvrir toutes les archives, et plus particulièrement celles des militaires.

Un an plus tard, le constat d’un embourbement s’impose. Le procureur en charge du dossier a été relevé. Celui qui a pris le relais, selon les familles, en connaît mal les tenants et aboutissants. Certains le soupçonnent de tout faire pour bloquer toute avancée réelle. Il se chuchote que « des militaires » auraient conseillé au sous-secrétaire aux droits de l’homme de mettre un bémol sur ses travaux relatifs au cas Ayotzinapa. L’armée, d’après les avocats des familles, n’a pas donné suite aux instructions données par le président.  Le président les a couverts. Le 3 octobre 2023, AMLO, s’en est pris au GIEI et aux familles. « Il faut en finir » a-t-il dit, « avec l’administration de la douleur ».(..) Si pour des raisons politiques ou idéologiques le mot d’ordre est  « C’est l’État, c’est l’État ! », non. Les faits établis sont davantage « liés à des décisions d’autorités locales en lien avec la délinquance » a-t-il ajouté. Quelques jours plus tôt, à l’occasion du 55e anniversaire du massacre d’étudiants à Tlatelolco le 2 octobre 1968, AMLO, a disculpé les militaires ayant fait usage de leurs armes. Ils ont obéi, a-t-il dit aux ordres de l’autorité politique, le président Diaz Ordaz..

Cette mise en sommeil de l’enquête sur le cas Ayotzinapa, les déclarations complaisantes du chef de l’État sur  les forces armées répondent sans doute à une grande orientation stratégique du sexennat. AMLO, contrairement aux engagements de sa campagne de 2017/2018, a considéré que seules les forces armées étaient en mesure de lui permettre de réaliser son programme de grands travaux avant la fin de son mandat en septembre 2024, et lui garantir une stabilité intérieure minimale. Les militaires aujourd’hui sont responsables des douanes, des ports et aéroports. Ils vont gérer le Train Maya, récemment inauguré. AMLO leur a donné en propriété une compagnie civile d’aviation, Mexicana de aviación..

Jean-Jacques KOURLIANDSKY