Depuis Valparaíso avec l’écrivain Jorge Baradit et les 50 ans du coup d’État

Jorge Marcos Baradit Morales est un écrivain et homme politique chilien né à Valparaíso en 1969 et connu pour son travail de diffusion historique à la télévision et dans la saga à succès Histoire secrète du Chili. Il nous propose ses réflexions sur la commémoration que nous avons traduit en français.

 Photo : DR

Finalement la conclusion que je tire de ce cinquantenaire c’est qu’il est la fin d’une illusion. De l’idée imposée par la droite qui veut qu’il y ait deux points de vue valables sur le coup d’État de 1973. La vérité est que sur toute la planète sont parvenus des messages de gouvernements de gauche et de droite, d’autorités de toutes sortes, de personnalités du monde de l’art, de la culture et de la politique y compris le secrétaire général des Nations Unies qui condamnent le coup d’État militaire et les horreurs qui s’en suivirent  comme solutions inacceptables.

Il n’y a pas eu un seul  message dans un sens opposé. Même l’Armée, par la voix de son commandant en chef, a déclaré que Pinochet n’est pas un bon exemple de la façon dont devraient agir les forces armées. Même la Marine, cerveau du coup d’État, a déclaré « Jamais plus », depuis l’île Dawson, le camp de concentration des autorités de l’Unité populaire. Cela signifie que les tenants de la  droite chilienne sont les seuls à défendre un criminel, corrompu, assassin et son coup d’État atroce. Ils sont seuls, isolés d’un monde moderne qui a vu l’armée chilienne écraser ses propres compatriotes. Surtout quand, à ce jour, ils n’ont pu produire aucune preuve de ce qu’existaient des raisons de perpétrer cet acte d’une extrême violence – bombarder et mitrailler son propre pays. Aucune preuve concernant l’existence supposée de 20.000 guérilleros cubains, un arsenal capable de fomenter une guerre civile, les projets d’instaurer une dictature marxiste et toutes ces histoires qu’ils ont inventées pour se faire peur et tirer les premiers. Aucune preuve. En revanche, l’évidence d’un complot des chefs d’entreprises chiliens alliés aux militaires et au gouvernement des États-Unis est écrasante. Le fait que des chefs d’entreprise, avec l’aide de Nixon et de la CIA, aient planifié la déstabilisation économique du pays et un coup d’État militaire avant qu’Allende soit au pouvoir, dément tous les récits qu’ils ont forgés ces dernières années : que l’incapacité d’Allende aurait mené au chaos et qu’ils s’étaient trouvés dans l’obligation d’agir.

Ce cinquantenaire établit comme vérité historique (confirmée par des preuves de tous ordres) que ce fut un complot de séditieux pour déstabiliser le gouvernement d’Allende avec l’aide du gouvernement le plus puissant du monde et de provoquer les conditions qui « justifieraient » un coup d’État. En outre, selon ce qui est  dit précédemment, il est établi que la réaction de la droite avec une violence d’une telle envergure, les persécutions, l’extermination d’hommes et de femmes durant dix-sept ans ou la persécution, la torture, l’exil de dizaines de milliers de Chiliens n’avaient aucune justification. Ce cinquantenaire établit aussi comme vérité historique (validée par des jugements basés sur des preuves de toutes sortes) que le coup d’État et les exécutions qu’il a entraînées sans aucune légitimité ont été réelles. Que les tortures atroces infligées à des hommes et des femmes, à des enfants ont été réelles. Que la rupture de familles et de groupes entiers, provoquée par l’exil a été bien réelle. Et qui, comme nous l’avons dit précédemment, n’ont pas la moindre justification si ce n’est l’extermination d’une vision du monde qui ne plaisait tout simplement pas à la droite et aux militaires. C’était la solution finale à la tentative d’une partie de ses travailleurs de changer la société féodale chilienne, et donc le risque de perdre son pouvoir absolu, sous couvert de patriotisme – parce que « le Chili  ce sont eux ». 

Ce cinquantenaire laisse à la droite chilienne un ancrage dans un passé atroce. Elle qui a toujours clamé que nous devrions regarder vers le futur et oublier les anciennes  blessures du passé, est restée retranchée dans le Chili du passé quand la DINA et Pinochet résolvaient tous les problèmes qu’ils avaient avec les travailleurs et lui épargnaient la crainte de ne pouvoir faire tout ce qui lui plaisait. Aujourd’hui que ce cinquantenaire a mis les choses au point, le président de la République a dit enfin ce que la vérité historique et juridique valide comme une évidence : rien ne peut justifier ce coup d’État brutal, cette dictature atroce. Pinochet a été un traître, un assassin, un être couard et corrompu.  

Après cinquante ans, elle est là l’histoire entérinée par l’évidence, par des documents, des condamnations par la justice qui invalident tout le reste. Les pamphlets ultranationalistes sont dépassés et sans aucun soutien. Vive le Chili. Vive le peuple. Vivent les travailleurs.

Jorge BARADIT
Traduit par Françoise Couëdel