Le Chili en voie de droitisation ?

Que s’est-il passé au Chili, pour qu’un peuple qui s’était éveillé lors d’une explosion sociale de 2019 à 2020 réclamant des changements, vote deux ans après, le 7 mai, pour la droite extrême et la plus réfractaire aux transformations ?

Photo : Prensa La Moneda

L’extrême droite s’est imposée lors des nouvelles élections constituantes le dimanche 7 mai dernier, provoquant la stupeur aux niveaux national et international. Le Parti républicain de l’ancien candidat présidentiel d’ultra-droite et admirateur d’Augusto Pinochet, José Antonio Kast, a obtenu 23 % des voix. La coalition de droite Chile Seguro en a obtenu 11 %. En conséquence, le bloc conservateur cumule 35 % des voix, donc 34 sièges des 50 qui devraient composer l’Assemblée chargée de rédiger la nouvelle proposition constitutionnelle. Cette nouvelle proposition fait suite au rejet retentissant (62 %) de l’ancienne proposition élaboré pendant un an par une assemblée plurielle et paritaire composée de 155 membres. Ainsi, la droite disposera d’une marge suffisante pour décider toute seule de la nouvelle proposition de charte fondamentale, car les forces de centre et de gauche n’auront aucune possibilité d’imposer quoi que ce soit. José Antonio Kast est défenseur de l’héritage de l’ancien dictateur Augusto Pinochet et ne souhaitait pas changer la Constitution de 1980.

La Concertation des Partis pour la Démocratie, qui avait gouverné le pays plus de trente ans après l’ère Pinochet, a refusé de se présenter à ces élections dans une coalition avec les partis du gouvernement Boric. Elle a connu un échec retentissant, n’obtenant aucun siège. L’ancienne présidente Michelle Bachelet avait averti du danger de ce choix et avait refusé de postuler comme candidate à cette élection si la Concertation ne faisait pas cause commune avec les partis du gouvernement. Mais enfin, la plus grande surprise fut celle-ci : le vote obligatoire a provoqué un phénomène tout à fait nouveau et inquiétant : un pourcentage très élevé des votes nuls et blancs représentant 17 % de l’électorat.

Comment expliquer le succès de la droite et de l’extrême droite ? C’est en premier lieu la division de la gauche et du centre-gauche, puis le désintérêt d’une partie non négligeable de l’électorat. Mais aussi, la situation du pays a pesé, avec l’inflation, l’insécurité et l’immigration conflictuelle. Ces dernières problématiques sont mises en exergue par les médias aux mains de l’opposition et par les groupes économiques les plus virulents à l’égard du gouvernement de gauche. Les explications peuvent être encore nombreuses, mais ce résultat confirme l’idée d’un analyste chilien qui explique que lorsque que la droite aborde les sujets sur la question sécuritaire et l’immigration, c’est toujours payant dans les urnes.  A y réfléchir !

Ce qui interroge le plus à propos du vote du 7 mai dernier est que cette idée politique audacieuse de refonder la constitution chilienne de 1980 par un vote en démocratie dans l’élan de la grande contestation sociale d’octobre 2019, a fait émerger les forces d’une droite plutôt favorable à un statu quo et à ce que rien ne change.

En effet, les choses ont commencé à se gâter lors de la première rédaction du texte constitutionnel. Les rédacteurs ont intégré des demandes nécessaires en faveur des groupes exclus, bien qu’importants, tels que les peuples originaires et le secteur LGBT+. Des mesures écologistes et féministes comme le droit à l’avortement y était aussi inclus. Il s’est avéré que ces préoccupations n’étaient pas partagées ni par les membres conservateurs de l’Assemblée, ni par une partie considérable de la population.

Aujourd’hui, avec la configuration de la nouvelle convention constituante où les droites sont prépondérantes, le dénouement semble annoncé, sauf surprise. Le bloque conservateur rédigera une charte semblable à l’existante de 1980 votée en dictature, et peut-être plus à droite. L’état social et démocratique du bien-être ne remplacera surement pas l’actuel état social subsidiaire. La proposition sera peut-être à nouveau condamnée au rejet par l’électorat lors du referendum de 7 décembre prochain. Tout ça pour rien !

Le Chili est passé, en un peu plus de deux ans, de « la révolution des masses » à la « contrerévolution des masses » (revue digital Ciper) et à un mal-être politique qu’illustre  le chiffre historique des votes nuls et blancs, un désenchantement et un rejet de la politique qui devrait inquiéter le pays pour les prochaines élections et faire réfléchir les élites politiques de tous bords.

A l’heure actuelle, le gouvernement de Gabriel Boric affronte les exigences accrues de la droite, forte du résultat des élections du 7 mai. La ministre de l’Intérieur Carolina Tohá (PS) a été interpellée avec beaucoup d’éclat et de dureté à l’Assemblée nationale. Les députés de droite exigent de nouvelles mesures pour arrêter l’immigration illégale : un déploiement des forces armées dans la zone Nord du pays et l’imposition d’un état de siège. Cette mesure a été appliquée pour la dernière fois en 1986, pendant dictature.

L’apparente droitisation du pays paraît incompréhensible à l’aune des grandes manifestations pour une transformation politique et sociale. Cependant, le Chili qui nous a habitué à des surprises, pourrait encore nous étonner avec une issue inattendue. Peut-être pouvons-nous continuer d’espérer une nouvelle proposition constitutionnelle contenant des transformations substantielles de la Constitution actuelle. Mais ce vœu pieux paraît bien peu probable.

Olga BARRY