« L’outreligne » une exposition de Milton Becerra et Pancho Quilici à la Maison de l’Amérique latine de Paris

La Maison de l’Amérique latine consacre sa prochaine exposition, L’Outreligne, à deux artistes vénézuéliens, Milton Becerra (né dans l’État de Táchira, en 1951) et Pancho Quilici (né à Caracas, en 1954). Sous le commissariat de Christine Frérot, les visiteurs pourront mesurer comment avec ces « passeurs de temps », la ligne défie et franchit les horizons, culturels, historiques, naturels, géométriques et constructifs, en toute liberté, avec raison et déraison.

Photo : MAL217

Arrivés en France au début des années 1980, où ils vivent et travaillent depuis lors, les deux jeunes artistes vénézuéliens, imprégnés à des degrés divers de l’esthétique cinétique de leurs aînés, vont très tôt se défaire de cette séduction passagère pour trouver une voie qui leur est propre. Chez eux, géométrie et nature se fondent dans un complexe et savant réseau de lignes, de trames et de formes, leurs « syntaxes » innovantes entrent en résonance et se confondent dans leurs utopies cosmogoniques et chamaniques. Dans sa quête revendiquée de questionnements à la fois existentiels et formels, chacun s’attache aussi à définir la place déterminante qu’ont, autant dans sa réflexion que dans l’expérimentation, les références mathématiques et scientifiques. Le temps, ce « temps sans durée » dont parle l’écrivain Philippe Curval à propos de Pancho Quilici, est au cœur de la gestation de l’œuvre, conforté par ces vertus que partagent les deux artistes, la lenteur, la patience et la persévérance. La cohabitation muséographique de leurs œuvres doit sembler fluide et cohérente et induire une communauté de pensée dans laquelle le « tressage » de Milton Becerra répond au « maillage » de Quilici et réciproquement.

« On peut alors se demander ce qu’ont en commun Pancho Quilici et Milton Becerra en dehors de ce qui, à première vue seulement, peut les opposer ? Qu’est-ce qui les rapproche ? Que partagent-ils ? On observe d’abord combien le plus célèbre héritage artistique de leur pays, le cinétisme, imprègne à des degrés divers leur complexe univers de lignes et leurs élaborations de trames et de formes, dans lesquels géométrie et nature se confondent. Dans sa quête revendiquée de questionnements à la fois existentiels et formels, chacun s’attache aussi à définir la place déterminante qu’ont, dans sa réflexion, les références mathématiques et scientifiques. Par ailleurs, l’apesanteur, où s’affirme leur commun désir d’espace, est déterminante dans leur approche conceptuelle, artistique et sensible ; quant au rôle joué par le temps, ce « temps sans durée » dont parle l’écrivain Philippe Curval à propos de Quilici, il est au coeur de la gestation de l’oeuvre, conforté par ces vertus que partagent les deux artistes, la lenteur, la patience et la persévérance. Si l’on se penche sur la manière qu’a chacun d’imaginer sa géométrie et de construire sa propre « aventure de lignes », comme l’écrit Henri Michaux à propos de Paul Klee, on réalise combien ce défi au vide est pensé en amont et irrigue leur discours culturel imprégné d’une réflexion nourrie de curiosités et de connaissances de nature scientifique. Les présenter ensemble, c’était donc, à travers un dialogue scénographique inédit, tenter de trouver une visibilité à leur communauté d’idées, pour construire une éventuelle troisième voie, celle proposée au premier étage de la Maison d’Amérique latine dans une installation pensée et réalisée en commun, à ma demande, par les deux artistes pour cette exposition. »

« Qu’il serpente dans la géométrie contrôlée de Quilici et la précision mathématique – autant cartésienne qu’audacieuse – de ses tracés, ou qu’il se matérialise chez Becerra dans une intervention qui invoque la tradition ou la mémoire indigène, à la croisée du land art et de l’Arte povera – sans qu’il prétende pour autant n’appartenir à aucun de ces mouvements -, leur lien avec la « nature », par la médiation de la ligne, est indéfectible. Autant la démarche de Becerra est pensée dans sa relation à l’homme et l’évoque en permanence dans sa « géométrie habitée », autant Quilici, dont l’art est dépouillé de toute référence proprement humaine, propose une « lointaine proximité », comme il la définit, avec la logique abstraite et/ou scientifique de l’espace-temps, celle de « la matrice minérale » (Edouard Glissant) du monde. Et puis, de Milton à Pancho, il y a les pierres, les cordes et les fils, la ligne toute puissante comme point de départ de la recréation incessante des origines, de sa dimension mythologique, matérielle et palpable, à celle plus évanescente d’un entrelacs de traits et de constellations, où la géométrie, en filigrane, tisse un cosmos de fiction. »

D’après MAL217