Retombée franco-haïtienne de la crise des retraites

Le Président français Emmanuel Macron a effectué le 27 avril 2023 une visite surprise à l’inquiétant Fort de Joux, dans le Haut Doubs. Là, il a rendu hommage à François Dominique Toussaint Louverture, précurseur de l’indépendance haïtienne, prisonnier de Napoléon Bonaparte, mort de froid dans cette forteresse perchée à 1 050 m d’altitude. Hommage étonnant rendu à une personnalité tout aussi éminente qu’absente de la mémoire française.

Photo : France Bleu

Surprenante retombée de la crise des retraites. Le 5 mai 2021, le Président de la République ne rendait-il pas hommage à Napoléon Bonaparte, « qui » avait-il dit « était une part de nous » ? Il avait il est vrai regretté la « trahison de l’esprit des lumières » par le premier consul, faisant référence à sa décision en 1802, de rétablir l’esclavage aboli par la Convention en 1794. Saint-Domingue, l’actuelle Haïti avait alors été victime de travaux pratiques militarisés, destinés à renvoyer les anciens esclaves libérés par la République, à la case plantation. Le fiasco avait été total. Le 1er janvier 1804 Haïti proclamait son indépendance. Un peu plus d’un an après le soleil d’Austerlitz, les « grognards » défaits en 1803 par une armée d’esclaves reprenaient le chemin de la métropole. Cette histoire, celle de l’ultime bataille perdue, le 18 novembre 1803, à Vertières, comme l’a signalé Jean-Pierre Le Glaunec, professeur à l’université de Sherbrooke, au Canada, « n’existe pas vraiment (..) dans la mémoire française». Pourquoi, poursuit-il, « Marcel Dorigny est-il le seul auteur à y faire référence lors des concours de l’enseignement français »[1] ? Alors que cette bataille et le cri de son vainqueur, le général François Capois, « étouffé en France (..) porte en lui la défense de tous les hommes (..) cri d’une réconciliation à venir ». Elle reste malgré les fleurs déposées à Joux, par le Président français, au pied du buste  du précurseur, toujours en suspens. Le geste, honorable mais de circonstance, n’a t-il pas été forcé par les retombées populaires destructrices du 49.3 .. ?

Il fait suite à bien d’autres, restés eux aussi inaboutis. Déjà, le 31 mars 1987, un président, François Mitterrand, avait effectué son pèlerinage dans la dernière demeure du général Toussaint Louverture. Il avait été précédé, quelques années plus tôt,  par Edgar Faure, président du Conseil sous la IVème République. Un nombre relativement important de ministres et de députés ont également fait leur acte de contrition dans ce lieu … meublé par l’État haïtien. Alfred Auguste Nemours, ministre plénipotentiaire de Haïti en France, a  en 1927 déposé un drapeau de son pays dans la cellule de Toussaint. Une stèle suivra, puis un buste offert à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance. Deux chefs d’État français ont bien fait acte de présence à Port au Prince, Nicolas Sarkozy, quatre heures, entre deux avions, en 2010, avait promis monts et merveilles, après le tremblement de terre. Il ne se passera pas grand chose jusqu’à la visite officielle de François Hollande, en 2015, la première d’un premier magistrat français depuis l’indépendance. Las, ce rendez-vous a lui aussi été un rendez-vous manqué. Le rappel de la dette imposée au XIXème siècle par la France, ayant contraint Haïti à dédommager l’ancienne puissance coloniale, n’avait pas été anticipé par l’hôte du Palais de l’Élysée. La République a célébré la mémoire du précurseur le 7avril 2023 au Panthéon, devant une plaque datant de 1998, quelques jours donc avant le geste présidentiel au Fort de Joux. Mais à la bonne date, Toussaint Louverture étant décédé un 7 avril, le 7 avril  1803.

Il y a  bien ici et là aux quatre coins de l’hexagone et des Antilles, des rues, des jardins, des statues dédiées au précurseur des libertés haïtiennes. Elles témoignent, parfois avec bonheur, d’un désir de réparer l’oubli. Bordeaux, où a vécu la famille de Toussaint Louverture, a été dotée d’un buste offert par  la République de Haïti en 2004. La Rochelle a inauguré en 2015 un bronze réalisé par l’artiste sénégalais Ousmane Sow. Paris a son square Toussaint-Louverture depuis 2021. Astaffort dans l’agenais a inauguré une plaque en 2022. Basse Terre, Bobigny, Clermont-Ferrand, Le Taillan Médoc, Les ponts de Cé, Niort, Montpellier, Nantes, Saint-Denis ont leur rue Toussaint Louverture, et Pontarlier à quelques kilomètres de Joux, a un lycée Toussaint Louverture. Ce petit emballement restaurateur de mémoire est la conséquence de la loi Taubira de 2001, rappelant le crime de la traite négrière atlantique. Des dates symboliques, celle de la deuxième abolition, le 27 avril 1848, celle du vote de la loi Taubira le 10 mai 2001, celle du 23 mai décrétée journée du souvenir de l’esclavage et de la traite négrière, stimulent les initiatives locales. Il reste malgré tout à construire une relation de vérité historique et de solidarité. Un état des lieux et un cahier des charges avaient pourtant été écrits, et bien écrits à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance. Régis Debray avait remis en 2004,  à Dominique de Villepin, ministre des Affaires étrangères, un rapport[2] de bon sens, intitulé, « Haïti et la France ». Mais qui s’en souvient ??

Jean-Jacques KOURLIANDSKY


[1] Jean-Pierre Le Glaunec, L’armée indigène, la défaite de Napoléon en Haïti, Montréal, Lux Editeur, 2020

[2] Régis Debray, Haïti et la France, Paris, La Table Ronde, 2004