Le sommet CELAC (Communauté d’États latino-américains et caraïbes) rate le coche du momentum politique

Le 24 janvier dernier se tenait à Buenos Aires le VIIe sommet de la CELAC, qui réunissait la quasi-totalité des chefs d’État d’Amérique latine et des Caraïbes. Le président Lula, fraichement élu, y accapara les projecteurs, marquant le retour du Brésil sur la scène régionale après quatre ans d’absence.

Photo : CELAC Press

C’était un sommet attendu, c’est le moins que l’on puisse dire. Après quatre ans d’absence, le géant brésilien réincorpore la CELAC, le forum politique régional. Pour sa septième édition, le sommet de Buenos Aires s’annonçait éminemment politique et idéologique. En effet, 2023 annonce le grand retour de la gauche latinoaméricaine. Du Rio Grande à la Patagonie, tous les poids lourds régionaux sont actuellement gouvernés par la gauche : le Mexique, la Colombie, le Brésil, l’Argentine ainsi que le Chili. Le sommet était donc l’occasion rêvée pour ces gouvernements de démontrer leur engagement pour plus d’intégration régionale.

D’autre part, l’année écoulée en Amérique latine aura été marquée par une croissante polarisation politique menant à l’inconcevable. La tentative de coup d’État au Brésil, l’attentat contre Cristina Kirchner en Argentine, les violences au Pérou, le rejet de la nouvelle Constitution chilienne sont autant de signaux alarmants pour les démocraties régionales, qui auront marqué les esprits et l’agenda politique latino-américain. Lors de l’ouverture du sommet, le président argentin Alberto Fernández n’hésita pas à dénoncer une « droite récalcitrante et fasciste qui met en danger les institutions de nos peuples ». Le ton était donné.

Des absences remarquées

Les absents de tout sommet politique donnent souvent à parler. La CELAC n’échappe pas à la règle. Face aux rumeurs persistantes sur la venue de Nicolás Maduro et la levée de boucliers qu’elles provoquèrent, le Vénézuélien finira par annuler sa participation en présentiel quelques heures avant le sommet, invoquant « des raisons de sécurité ». Un autre absent remarqué fut Andrés Manuel López Obrador (AMLO) qui envoya son ministre des Affaires étrangères. Comme à son habitude, le président mexicain évite les déplacements à l’étranger. Au-delà de son absence physique, on peut regretter l’absence concrète du Mexique en général dans les projets d’intégration régionale. Alors que son élection en 2018 avait donné l’espoir d’un rapprochement à terme du pays avec le contient latino-américain, la politique extérieure d’AMLO en la matière s’avère décevante pour le moment.   

Le retour de Lula

« Une CELAC sans le Brésil est une CELAC vide », fit remarquer le président Fernández dans son discours d’ouverture. L’évènement médiatique du sommet était donc, sans aucun doute, la présence de Lula, qui marquait le retour du Brésil après le boycott de la CELAC par Jair Bolsonaro, peu intéressé par les politiques régionales. Sa présence fut particulièrement remarquée lors de la rencontre bilatérale Brésil-Argentine, lors de laquelle il annonça le lancement des réflexions ente les deux pays pour y fonder une monnaie commune supranationale, baptisée le « Sur ». Cette annonce surprise souligne l’impulsion d’intégration économique du président brésilien pour la région. Celui-ci entend également réactiver l’UNASUR, une union strictement sudaméricaine, plus axé sur l’union douanière, laissée à l’abandon depuis 2018.

Idéologiquement, l’idée d’une monnaie commune fait sens et donnerait plus d’autonomie à la région, afin de se protéger des fluctuations du système financier international. Il est néanmoins surprenant que cette idée d’union supranationale soit lancée par des pays traditionnellement protectionnistes, et dont l’union douanière est largement perfectible. De plus, le commerce intrarégionale stagne ces dernières années. Selon les derniers chiffres de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes), seulement un cinquième des exportations des pays membres est destiné à un autre pays de la région. L’instauration du « Sur » laisse donc penser que le gouvernement de Lula entend clairement mettre la charrue avant les bœufs.

Une vitrine à l’international

La CELAC joue aussi un rôle de vitrine internationale pour ces économies tournées vers le monde extérieur. Le sommet est l’occasion pour ces participants de parler d’une seule voix et de maintenir des liens politiques avec d’autres régions du monde. C’est ainsi qu’un sommet Union Européenne-CELAC fut annoncé pour juillet 2023, sous la présidence espagnole de l’Union européenne. L’occasion de réaffirmer les liens entre les deux continents, alors que les traités de libre échange peinent à se concrétiser et que les investissements chinois pullulent sur le continent. Signe des changements géopolitiques actuels, depuis quelques années dorénavant, Xi Jinping participe au sommet par message vidéo.

Une exposition d’idéologie sans projet concret

À la diffusion de la Déclaration finale de Buenos Aires, on ne peut s’empêcher de penser « tout ça pour ça ». Au-delà des déclarations habituelles de bonnes intentions, aucunes actions concrètes, à la hauteur du momentum historique que traverse la région actuellement, furent annoncés. Tout au plus une mention timide aux troubles politiques attirera notre attention : « la démocratie est une conquête de la région qui n’admet pas d’interruptions ». Alors que le président argentin remettait la présidence de la CELAC à l’île de Saint-Vincent-et-les-Grenadines pour l’année 2023, on se souviendra des mots lucides du président colombien Gustavo Petro : « Nous parlons beaucoup de nous unir, mais nous faisons peu pour le faire ».

Romain DROOG