Un sommet Mexique-États-Unis-Canada encourageant ?

Les 9 et 10 janvier derniers, les dirigeants états-uniens, canadiens, et mexicains se sont réunis à Mexico pour le traditionnel sommet nord-américain, une première depuis 2014. Il a été question, un peu, de commerce et de climat et beaucoup de lutte contre le trafic de drogue et d’immigration

Photo : La Jornada

L’économie d’abord : c’est le sujet sur lequel Joe Biden, Justin Trudeau, et Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO) sont le mieux parvenus à trouver un terrain d’entente lors du sommet de Mexico. Ils partagent un but commun : faire de l’Amérique du Nord «la région économique la plus compétitive, prospère et résiliente du monde » d’après les propos du président des États-Unis. Pour cela, ils doivent apprendre à faire face à la concurrence asiatique, ce pourquoi les « trois amigos » ont annoncé la création d’un comité conjoint consacré à la substitution des importations. Cette mesure sert avant tout à réduire la proportion de composants informatiques stratégiques venue de Chine. En fait, les trois dirigeants ont discuté d’une stratégie de « nearshoring », c’est-à-dire de délocalisation d’une activité économique dans une région proche, la stratégie des États-Unis étant de favoriser l’industrie mexicaine plutôt qu’asiatique, qui lui fait concurrence. Si sur les semi-conducteurs électroniques des avancées ont été faites, certains dossiers restent bloqués, sur l’énergie et le maïs génétiquement modifié notamment, ou n’ont pas tellement été discutés lors de ce sommet, qui a surtout abordé la drogue et l’immigration.

Le départ de Donald Trump, qui avait mis en danger l’Alena, l’accord de libre-échange Nord-américain, remplacé in extremis par l’ACEUM[1], semble toutefois faciliter la coopération économique entre les trois pays, mais pas seulement. En effet, des mesures concernant le climat ont également été prises à Mexico : les États-Unis, le Canada et le Mexique s’engagent à réduire d’au moins 15 % d’ici 2030 les émissions de méthane liées au traitement des déchets et des eaux usées, à diviser par deux le gaspillage alimentaire, à installer à leurs frontières des bornes pour voitures électriques et à développer un marché de l’hydrogène « propre ».

Les trois partenaires ont ensuite abordé un sujet qui inquiète beaucoup Washington : le trafic de drogue, et notamment l’expansion du trafic de fentanyl, des pastilles bleues, encore plus nocives que l’héroïne, qui circulent de plus en plus aux États-Unis. En effet, selon l’agence américaine anti-drogue, parmi les 108 000 décès par overdose enregistrés aux États-Unis en 2021, près des deux-tiers étaient liés à cette drogue de synthèse ; et la quantité de fentanyl saisie en 2022 est supérieure à celle qui serait nécessaire pour tuer l’ensemble de la population du pays. L’arrestation quelques jours auparavant par les autorités mexicaines de Ovidio Guzmán, fils du fameux narcotrafiquant « El Chapo », désormais supposément à la tête du cartel de Sinaloa, semble faire office de gage de bonne volonté concernant un engagement commun contre le trafic de drogue.

Enfin, est venu le sujet plus épineux de l’immigration. L’année 2022 a été un record en termes d’entrées illégales sur le territoire des États-Unis, avec l’arrestation d’environ 2,15 millions de migrants en situation irrégulière à la frontière mexicaine, contre 1,7 millions en 2021. Biden, qui évitait le sujet depuis son arrivée au pouvoir, a commencé à s’y atteler, déclarant que les États-Unis faisaient face à « la plus grave crise migratoire de l’histoire ». Avant de se rendre à Mexico pour le sommet, il est allé visiter la ville texane d’El Paso, qui partage une frontière avec celle de Juarez au Mexique, l’un des principaux points de passage. Dans le cadre de cette visite, il a annoncé plusieurs mesures. D’un côté, les États-Unis accorderont l’entrée à leur territoire, par voie aérienne seulement, à 30 000 migrants par mois, en provenance du Nicaragua, du Venezuela, d’Haïti et de Cuba, sous certaines conditions, dont celle d’avoir un parrain financier déjà installé aux États-Unis. Mais, Biden a aussi présenté une autre disposition, décriée par de nombreuses ONG et même par l’ONU : les expulsions immédiates vers le Mexique. C’est-à-dire la possibilité de renvoyer les migrants qui franchissent la frontière illégalement sur-le-champ, sans examen de leur situation, sans avoir le droit de demander l’asile, sans s’assurer qu’ils aient un moyen de retourner dans leur pays d’origine (la plupart n’étant pas Mexicains). Une mesure qui augmente évidemment les risques de tensions à la frontière. Cette politique serait, selon l’Union américaine pour les libertés civiles, dans la « droite ligne » de celle de son prédécesseur.

Alors que Biden remerciait « AMLO », pour le rôle de « salle d’attente » qu’effectue le Mexique dans les flux migratoires, le président mexicain a demandé à Biden de « mettre fin à l’oubli, à l’abandon, au dédain envers l’Amérique latine et les Caraïbes, éloignés de la politique de bon voisinage lancée par le titan de la liberté que fut Franklin Delano Roosevelt». Il faut noter effectivement que lors du « Sommet des Amériques » qui a eu lieu en juin dernier à Los Angeles et qui avait notamment pour but de trouver un accord sur l’immigration, Washington avait refusé la présence de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua, pourtant les principaux concernés puisqu’il s’agit des pays d’origine de la majorité de ceux qui aspirent à entrer sur le sol états-unien. C’était également la première fois depuis son arrivée au pouvoir, il y a deux ans, que le président américain visitait un pays d’Amérique latine. Lopez Obrador a toutefois salué le fait que Biden ne construise pas de mur, tout en adressant une autre pique déguisée à son homologue en saluant la politique migratoire « organisée » du Canada, « un exemple à suivre ».

Finalement, si les photos affichent trois dirigeants unis regardant dans la même direction, de nombreux désaccords et points de tension persistent. AMLO, qui critique régulièrement l’attitude interventionniste des États-Unis, et notamment du parti démocrate dont est issu le président en exercice, utilise la drogue et l’immigration comme leviers et résiste à ouvrir le secteur énergétique aux investissements états-uniens et canadiens, ce qui a tendance à agacer ses partenaires. Mais comme Martha Barcena, ancienne ambassadrice du Mexique à Washington, le souligne pour Le Monde, des espaces de dialogues institutionnels constructifs ont été ouverts depuis l’arrivée de Biden, ce qui n’était pas le cas avec l’administration Trump, qui n’avait d’ailleurs pas mis les pieds au Mexique. Ce sommet est de bon augure d’un point de vue diplomatique, malgré un faible nombre de mesures concrètes.


Marie BESSENAY

[1] https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/services/avis-politique/avis-relatif-politique-marches-2020-2-remplacement-accord-libre-echange-nord-americain-alena.html