L’artiste argentine Inés Blumencweig à la Maison de l’Amérique latine à Paris

L’exposition présente une sélection de onze œuvres majeures de l’artiste argentine (née en 1930 à Buenos Aires), produites entre 1941 et 1978. Du 13 octobre au 7 janvier prochain.

Photo : MAL217

Première exposition personnelle depuis 1980, Inés Blumencweig. Structures sensibles a pour but de mettre en lumière sa contribution artistique aux mouvements de l’avant-garde italienne des années 1960 et 1970, et aux propositions plastiques du Spatialisme, de l’Arte Povera, et de l’Arte Programmata. « Ce Sud si lointain » rassemble pour la première fois un corpus axé en majorité sur les quelques figures marquantes du monde culturel qu’elle rencontra en Amérique latine, – et, dans une moindre mesure, en France, dans une période plus proche de nous, – sur les paysages qu’elle y découvrit, et sur des scènes de la vie du monde rural, rarement montrés auparavant, principalement réalisés entre 1941 et 1952. L’exposition permettra d’apprécier pleinement le triple profil de Gisèle Freund, à la fois photographe, sociologue et journaliste.

En 1941, Gisèle Freund fuit l’occupation nazie et découvre pour la première fois l’Amérique latine en émigrant à Buenos Aires. Elle effectue, depuis la capitale argentine, plusieurs voyages : en Uruguay, Patagonie, au Chili ; puis, de manière intermittente jusqu’au début des années 1950, en Équateur, en Bolivie, au Pérou, au Brésil et s’installe durant deux ans au Mexique.  

Les portraits d’écrivains du XXe siècle de Gisèle Freund, caractérisés par un cadrage serré et l’usage de la couleur dès 1938, sont devenus iconiques. Le parcours d’exposition s’intéresse à la place importante occupée par l’Amérique latine dans la vie de la photographe franco-allemande. Les clichés qui seront présentés mettront en lumière la constante capacité de l’artiste à s’intéresser autant à l’expression corporelle d’une personne et à son visage qu’à son environnement et sa condition.

Une photographe visionnaire

Connue du public français en 1981, grâce au portrait officiel du président François Mitterrand, ami des livres, cette photographe allemande naturalisée française a lutté durant toute sa carrière pour la dignité des femmes et des êtres humains, en utilisant ses photographies comme arme. Gisèle Freund est née le 19 décembre 1908 à Berlin-Schöneberg, dans une famille juive berlinoise très aisée. Elle n’a que douze ans quand son père, collectionneur d’art, lui offre son premier appareil photographique Leica. Contre les souhaits de sa famille, elle s’inscrit dans une école pour enfants d’ouvriers et, par la suite, étudie la sociologie et l’histoire de l’art à Fribourg, puis à Francfort, dans l’intention de devenir journaliste. Elle décide finalement de se consacrer à une thèse sur la commercialisation du portrait photographique en France au XIXe siècle. 

Acquise aux idées marxistes, membre des Jeunesses socialistes de Francfort, elle craint les persécutions, et se réfugie à Paris en 1933. À la Bibliothèque nationale de France, où elle poursuit sa thèse, elle commence son travail de portraitiste. En 1935, elle se lie d’amitié avec Adrienne Monnier, légendaire libraire de « La Maison des amis des livres » rue de l’Odéon et sa compagne, Sylvia Beach, qui tient en face, la librairie « Shakespeare & Company ». Elle fait la connaissance des écrivains français ou expatriés qui fréquentent la librairie d’Adrienne Monnier. Elle réalise, entre autres, une série de photographies de James Joyce dont l’un des portraits fait la couverture du Time américain lors de la publication de Finnegans Wake (1939). 

Dès 1938, elle est l’une des premières à réaliser des clichés en couleurs. Elle commence à collaborer avec LifeWeekly Illustrated et Paris Match. Elle travaille aussi pour l’agence Magnum et poursuit son activité de photojournaliste qui reflète ses idées politiques. Malgré sa naturalisation par mariage, elle doit fuir la France occupée. Elle s’installe à Buenos Aires puis voyage dans toute l’Amérique latine pour réaliser des reportages. Elle photographie les populations autochtones et les paysans mexicains. À la fin de la guerre, elle revient à Paris et, en 1947, elle signe un contrat avec le bureau parisien de Magnum. Elle publie pour leur compte un reportage sur Eva Perón, première dame d’Argentine, dans le Time Magazine du 14 juillet 1947 qui fait scandale.

En 1950, elle retourne en Amérique latine pour un travail sur la Patagonie et une nouvelle série consacrée à Eva Perón. Le musée de l’Homme l’envoie au Mexique photographier l’art précolombien. Elle part pour deux semaines… et y reste deux ans. Dans ce pays « où rien n’est médiocre ni insignifiant » tout la séduit. Elle y rencontre le couple mythique Frida Kahlo et Diego Rivera. Plongée dans le fantastique latino-américain et dans leur intimité, elle prend des centaines de photos d’eux. 

Les États-Unis en plein maccarthysme la déclarent indésirable. Ses nombreux voyages, elle les entreprend, écrit-elle, non pour innover, mais pour « rendre visible ce qui [lui] tenait le plus à cœur : l’être humain, ses joies et ses peines, ses espoirs et ses angoisses ». Entre les multiples récompenses qu’elle a reçues, on trouve le prix de Culture de l’Association allemande de photographie en 1978 et le Grand Prix des Arts du ministère de la Culture française en 1980. Elle décède à Paris, à l’âge de 91 ans, le 30 mars 2000.

Nathalie MARTIN