Intervention du président Gabriel Boric Font lors de la 77e session annuelle des Nations-Unies

Après les discours des présidents du Brésil et du Sénégal, le président de la République du Chili, Gabriel Boric Font, a fait sa première déclaration devant l’Assemblée générale des Nations-Unies.

Photo : Nations-Unies

Monsieur le président, Monsieur le secrétaire général, chères et chers cheffes et chefs d’État et de gouvernement, à tous les éminents invités présents aujourd’hui. C’est pour moi un honneur de pouvoir être avec vous pour la première fois devant cette Assemblée générale. Je viens du Chili, qui est un beau pays situé dans l’extrême sud de l’Amérique, entre la Cordillère des Andes, qui est la colonne de notre continent et l’océan Pacifique majestueux et imposant. Un pays qui a une géographie variée et des paysages émouvants, où cohabitent les ciels les plus sereins avec les mers les plus tempétueuses, et le désert le plus sec, et des villes baignées de pluie.

Le peuple chilien, comme peut-être certains parmi vous le savent, est travailleur et solidaire. Grâce à son courage, nous sommes passés en un peu plus de deux siècles, de l’état de la colonie la plus pauvre d’Espagne en Amérique à celui d’un pays indépendant, libre, souverain et dynamique. Un pays avec d’énormes opportunités, qui aujourd’hui est sur le point d’atteindre un développement abouti, dont nous faisons en sorte qu’il bénéficie à tous, non seulement à une poignée de privilégiés.

Un pays qui possède du cuivre et du lithium pour l’électro-mobilité, un pays qui développe l’hydrogène vert pour fournir des énergies durables au monde, un pays avec des côtes étendues  et des espaces marins protégés qui contribuent à préserver l’environnement, un pays aux universités de haut niveau en matière de création et de partage du savoir. Je viens vous dire, chers collègues, que le Chili a besoin du monde et que le monde a, lui aussi, besoin du Chili.

Mais comme vous, et les discours de ceux qui nous ont précédés l’ont très clairement montré, nous vivons une période de profondes incertitudes et de soubresauts, dans laquelle il est clair qu’aucune Nation, et elles sont toutes représentées ici, n’est épargnée ou n’est insensible aux évènements qui surviennent au niveau mondial, ce à quoi notre pays, bien sûr, ne fait pas exception. Ainsi, la guerre d’agression, l’injuste guerre d’agression déclenchée par la Russie en Ukraine – contre un peuple envers lequel nous exprimons notre solidarité – a entraîné la hausse du prix des carburants et a provoqué une pénurie de céréales et d’engrais, qui a un fort impact sur notre économie et, sûrement aussi, sur  celle de beaucoup d’entre vous.

De même, et bien que cela nous coûte parfois de le dire, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, déclenchée en 2018, sous l’administration antérieure de Donald Trump, tout comme la pandémie, ont déstabilisé l’économie mondiale et ont aussi affecté la nôtre, comme sans aucun doute aussi la vôtre. Dans le même temps, la crise humanitaire au Venezuela due à son interminable crise politique, a généré un flux migratoire qui est inédit dans notre région et dans notre pays, mettant une terrible pression sur nos institutions et notre société.

Enfin, comme certainement beaucoup d’entre vous la vivent, la crise climatique affecte fortement en  particulier notre continent américain, particulièrement les Caraïbes, et les modes de vie de nos peuples. Au Chili, de fait, nous répondons à 7 des 9 critères de vulnérabilité établis par les Nations Unies : zones de côtes de basse altitude, zones arides et semi-arides, zones de forêts, risques de désastres naturels, sécheresse et désertification, zones urbaines avec pollution atmosphérique et écosystèmes montagneux. Toutefois, notre pays, comme sûrement nombre des vôtres, beaucoup de ceux situés au sud du monde, est responsable mais ne produit qu’un  infime pourcentage  des émissions globales des gaz à effet de serre – dans notre cas 0,24 %. Tandis que les pays aux économies les plus prospères du G20, comme le rappelait le Secrétaire général, produisent 80 % des gaz à effet de serre.

De toute évidence, aucun pays, qu’il soit grand ou petit, humble ou puissant, ne peut prétendre se sauver seul aujourd’hui. Tandis que je préparais ce discours dans mon pays, je me demandais comment au milieu de tant de discours, assurément très intéressants, racontant la réalité spécifique à chaque pays, je pouvais apporter un petit grain de sable à la construction d’un monde possible et plus juste. Et conscient que ce n’est pas à moi de donner de leçons sur les problèmes que vit notre monde convulsé, j’ai pensé que raconter notre propre expérience récente en tant que pays pouvait servir, à qui voudra bien l’écouter, à en tirer des leçons propres. 

Le Chili vit actuellement un intense processus politique. Cela fait presque trois ans que nous avons dû faire face à une grave crise politique et sociale. Durant ces jours-là, une grande majorité de Chiliens et de Chiliennes ont manifesté leur mécontentement face aux inégalités et aux abus. Leur indignation quant aux longues listes d’attente pour accéder aux soins des services de santé publique. Leur lassitude quant à l’endettement en millions pour parvenir à faire des études. Leur amertume pour ce qui est des pensions de misère après de longues années de travail. C’est peut-être une histoire que connaissent beaucoup d’entre vous.

Dans quelques mois, cela fera 50 ans que le président Salvador Allende, depuis cette même tribune où j’ai l’honneur de me trouver aujourd’hui, rendit compte des importants changements sociaux et politiques que vivait notre pays. Parce que nous sommes un pays qui cherche depuis longtemps son propre chemin vers la dignité, et même si, durant les gouvernements démocratiques des trente dernières années , la pauvreté a considérablement reculé et qu’il y a eu d’importantes avancées sociales, il reste incontestable que le modèle de développement que nous avons adopté au Chili a maintenu une forte concentration de la richesse, nous a conduits, et nous le déplorons, chers amis, à être l’un des pays les plus inégalitaires du monde. 

Cette inégalité, comme sans doute c’est le cas dans beaucoup de nations en voie de développement, a représenté un obstacle sur la voie du développement, mais pas seulement, elle est aussi une menace pour la démocratie, car elle fracture la société elle-même, elle détruit la cohésion sociale et par conséquent, elle finit par être un frein pour nous entendre et construire ensemble un avenir plus libre et plus juste.

L’explosion sociale vécue par le Chili en 2019 a laissé perplexes de nombreux observateurs, certains parmi vous, mais également certains acteurs de la vie nationale, qui se demandaient ce qui était en train de se passer dans ce pays. En effet, qu’un pays qui a atteint des indices importants de croissance économique et de développement humain qui témoignent d’importantes améliorations de la qualité de vie de son peuple, ait eu à affronter, en même temps une crise si profonde, a attiré l’attention.

Malheureusement, ce qui est survenu dans ma Patrie n’est pas un hasard, ni le fruit du hasard, mais la conséquence d’ innombrables histoires de souffrances et d’ajournements qui se sont accumulés et ont affecté le cœur même de notre société. Et je veux vous dire, bien que ce ne soit pas souhaitable, que cela peut aussi survenir dans vos pays respectifs. C’est pour cela que je veux vous inviter à anticiper, à anticiper tous ensemble, en recherchant une plus grande justice sociale, une redistribution de la richesse de la meilleure façon possible et un pouvoir qui doit aller de pair avec une croissance durable. J’ai la profonde conviction, que j’espère partagée, que cela est possible et urgent.  

Malheureusement, je dois le dire car on ne peut pas venir ici pour ne parler que de choses agréables, ce mécontentement s’est manifesté aussi par de graves épisodes de violence, comme l’incendie inacceptable de stations de métro et la détérioration des centres civiques. Et, d’un autre côté, nous avons été témoins d’une répression incontrôlée qui a causé des morts, des blessés et plus de 400 victimes de traumatismes oculaires occasionnés par l’action de l’État, ce qui constitue du point de vue de notre gouvernement et des organismes internationaux des Droits humains, une grave violation des Droits humains qui devra être réparée et cela sera fait.

Chers collègues, ce qui s’est exprimé dans notre pays en octobre et décembre 2019, a été le résultat d’une longue histoire d’injustices. Mais c’ est aussi ce qui est beau car la longévité de cette histoire est plus grande que la nôtre, de ceux d’entre nous qui aujourd’hui occupons ces postes, cela a été la longue histoire de la mobilisation citoyenne et des luttes sociales, celle-là même qui a permis le retour de la démocratie, les retrouvailles des démocrates, comme le disait le président Aylwin, à la fin du siècle dernier, ou celle qui, à l’aube du XXe siècle, a permis aux droits des travailleurs et travailleuses de progresser.

Dans les manifestations de 2019, étaient représentés aussi l’héritage des femmes du siècle dernier, des femmes qui ont fait avancer le droit de vote féminin, le souvenir des ouvriers qui ont gagné le droit au repos et la lutte des citoyens pour un logement décent. Ce sont toutes ces mémoires et ces luttes sociales qui étaient présentes. Derrière ce profond mal-être, les valeurs d’égalité, de justice, de liberté ne sont pas étrangères à une revendication à laquelle nous assistons de plus en plus fréquemment, dans le monde et lors de cet affrontement. La protection, la défense des droits humains, quel que soit le lieu et quel que soit le régime, le travail décent, la protection sociale universelle et la lutte contre la crise climatique sont des demandes universelles qui sont au cœur de « notre Agenda commun », sous l’égide de notre Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres, ainsi que les objectifs du développement durable.

Chers dirigeants du monde: l’issue vers une résolution pacifique et démocratique de la crise que vit notre pays a été un accord important entre les principales forces politiques qui a permis l’élaboration d’une feuille de route vers la rédaction d’une nouvelle Constitution qui soit en mesure d’asseoir les bases d’un nouveau contrat social. Cette feuille de route impulsée par la société chilienne à travers les manifestations et la lutte sociale  et remise en cause politiquement par différentes institutions, a été approuvée par un premier plébiscite pour lequel 80 % des votants se sont déclarés en faveur d’une nouvelle Constitution, écrite par un organe spécialement élu à cette fin. Et le défi n’est pas des moindres. Il consiste à élaborer, comme jamais dans notre histoire, une Constitution démocratique écrite avec la participation citoyenne, avec la participation des peuples indigènes et dans le respect de la parité hommes-femmes. Une Constitution pour tous et pour toutes, mais aussi faite par tous et par toutes. 

Il y a quelques semaines, cependant, le travail réalisé par la Convention Constitutionnelle entre 2021 et 2022 a été soumis à la consultation citoyenne à travers un plébiscite auquel, une fois encore, ont participé massivement les Chiliens et les Chiliennes, avec 85 % de participation. Et, lors de cet évènement électoral, les citoyens ont rejeté de façon claire, la proposition à 62 % contre 38 %, ce qui fait qu’aujourd’hui, nous, en tant que pays, sommes en train de chercher de nouvelles modalités pour élaborer ce point de rencontre entre tous les Chiliens et toutes les Chiliennes. 

Mon choix personnel, quant à ce plébiscite, a été d’approuver la proposition qui nous avait été faite par la Convention, mais le résultat a été le rejet. Certains ont voulu interpréter le résultat du plébiscite comme un échec du Gouvernement. Et en toute humilité, je veux dire aujourd’hui, aux Nations Unies, que jamais un gouvernement ne peut se sentir vaincu lorsque le peuple donne son opinion. En démocratie, la parole populaire est souveraine et elle est notre guide à chaque instant. Mais, pourquoi est-ce que je vous parle de cela ? Parce que, contrairement au passé, durant lequel les divergences au Chili se sont résolues dans le sang et le feu, aujourd’hui nous, Chiliens, sommes d’accord pour relever ces défis de manière démocratique. Et je vous dis cela parce que je suis certain que l’un des principaux défis de l’humanité aujourd’hui est de construire des démocraties qui débattent et écoutent véritablement les gens et qui acceptent les résultats même lorsqu’ils ne sont pas ceux espérés. Nous qui assistons à cette Assemblée, nous avons le devoir d’améliorer nos démocraties.

Durant les très nombreuses journées de mobilisation, la parole “dignité” s’est faite entendre. Eh bien, notre peuple vient de s’exprimer en nous donnant une leçon de démocratie que nous acceptons. Le Chili a exigé que sa démocratie et ses acteurs politiques soient à la hauteur des demandes de son peuple, et notre défi actuel est d’être, nous aussi, à la hauteur de leurs demandes. En qualité de Gouvernement, nous avons accueilli les résultats du plébiscite récent, les yeux et le cœur grand ouverts. Nous voulons écouter ce que le peuple nous dit car nous avons foi en son discernement et en sa volonté. Et il y a des choses que nous avons comprises de façon très claire, que je souhaite très brièvement partager avec vous. Les résultats sont l’expression de la citoyenneté qui demande des changements sans mettre en péril ses acquis actuels. Qui veut un futur meilleur, construit avec sérieux et sans le risque d’engendrer de nouvelles insécurités. Un futur qui concilie changement et stabilité. 

Nous avons compris également, et cela fait  encore quelques  années, alors que j’étais un jeune homme qui descendait dans la rue lors des manifestations, qu’afficher son malaise est beaucoup plus simple que de trouver des solutions ; nous avons compris que nous, qui nous consacrons à l’exigent exercice politique, nous confondons régulièrement et facilement les succès que nous pouvons avoir en tant que porte-paroles de la souffrance citoyenne avec notre réelle capacité à être des bâtisseurs de futurs meilleurs. Et le résultat du plébiscite dans notre pays nous a appris à être humbles, et à accepter que la construction du Chili dont nous rêvons n’est dans les recettes d’aucun secteur en particulier mais bien dans la synthèse que nous pouvons faire en combinant le meilleur que chacun pourra apporter. C’est ainsi que l’on gouverne au XXIe siècle: en mobilisant les capacités et la sagesse de nos sociétés et non en prétendant les substituer. Comme président du Chili, je suis convaincu que, à court terme, le Chili aura une Constitution qui réponde à nos attentes, et dont nous serons fiers, qui recueillera le soutien de tous les secteurs de la société et qui sera capable de refléter les désirs de justice et de liberté.  

Chères et chers délégués, à partir la modeste histoire de ma Patrie, je peux vous dire, avec une forte conviction,  que le chemin pour affronter les problèmes qui frappent nos sociétés doit être pavé de plus de démocratie et non l’inverse, en encourageant la participation et non en la restreignant ,  en favorisant le dialogue sans jamais le censurer. Et, surtout, en respectant celui qui pense différemment, en intégrant ses points de vue, en comprenant qu’avoir des opinions divergentes n’en  fait pas un  ennemi.  Je me rebelle contre l’abîme que certains prétendent creuser face à la diversité d’opinions légitime, et depuis le Chili, nous affirmons notre volonté d’être des bâtisseurs de ponts pour réduire ces brèches qui nous empêchent, entre sociétés différentes,  de nous rencontrer.

Voici l’expérience et la leçon que, depuis notre petit pays, nous voulons partager avec les  nations du monde: approfondir la démocratie est un exercice permanent dans lequel il convient de persévérer et d’apprendre, chacun des expériences de l’autre. Pour cela, et pour finir, je vous invite à travailler ensemble pour consolider la démocratie dans tous les espaces, dans chaque pays et en relation les uns avec autres. Nous avons besoin d’une voix unie pour l’Amérique latine, nous avons besoin de plus de travail collectif pour les pays du Sud en général, nous avons besoin de Nations Unies modernisées dans lesquelles nous nous fixions tous les mêmes objectifs.  

Engageons-nous dans la voie de la justice et de la paix grâce au multilatéralisme, à tout moment et en tout lieu,  à mener les actions nécessaires, non seulement par des déclarations pour arrêter la guerre injuste de la Russie contre l’Ukraine et pour mettre fin à tous les abus des puissants partout dans le monde. Mobilisons nos efforts pour faire cesser les violences faites aux femmes, que ce soit en Iran, à la mémoire de Mahsa Amini, morte aux mains de la police cette semaine, ou dans n’importe quel autre lieu du monde. N’acceptons pas les violations permanentes des Droits humains contre le peuple palestinien, en faisant valoir le droit international et les résolutions qu’année après année cette même assemblée décrète qui conduisent au droit inaliénable d’ établir son propre État libre et souverain. Et garantissons également le droit légitime d’Israël à vivre à l’intérieur de frontières sûres et internationalement reconnues. Continuons à œuvrer pour contribuer à la libération des prisonniers politiques au Nicaragua, et à travailler pour qu’en aucun lieu dans le monde avoir des idées différentes à celles du gouvernement en place ne puisse causer persécutions ou violations des droits de l’homme.  

Chers membres de cette Assemblée, le monde entier réclame des changements et nous qui faisons partie des nouvelles générations, en apprenant de ceux qui nous ont précédés, nous avons le droit et la responsabilité de penser et d’agir en vue d’un avenir différent. Les citoyens qui subissent le plus les conséquences de sociétés construites sur les bases de ségrégation et d’abus, réclament pour leur vie des droits et la sécurité. Ce monde d’un plus grand bien-être, nous pouvons uniquement l’atteindre grâce à une démocratie plus forte et c’est l’appel auquel tous et toutes nous devons répondre aujourd’hui, et à cette fin depuis le Chili, nous sommes prêts à y contribuer partout dans le monde.

Gabriel BORIC FONT