Un regard face au monde à Arles, avec en plus quelques photographes latino-américains  

Sous le titre « Visible ou Invisible, Un été révélé », les Rencontres de la photographie d’Arles 2022, par les artistes et photographes qui exposent leur travail par la force de l’image, nous ont révélé ce que nous savons, ce que nous ne voulons pas entendre et ce que nous devrions regarder en face du monde actuel.

Photo : Actes Sud

En ces temps où l’on s’inquiète pour la sauvegarde de notre planète et pour les crises écologiques, démocratiques, sanitaires, les Rencontres de la photographie d’Arles 2022 ont accordé une place d’honneur à ces paradigmes parmi une multiplicité d’autres sujets fondamentaux tels que le féminisme, les corps en mouvement, les conflits, les mouvements migratoires entre autres. En ce sens, un intérêt particulier à l’humain aujourd’hui et à la nature dit Christoph Wiesner, nouveau directeur des Rencontres de la photographie, pour qui « il est impossible des parler de l’humain sans mettre la nature à l’honneur. »  Ainsi, les peuples indigènes défenseurs de la biodiversité et de la protection de l’environnement et leurs territoires ont occupé des espaces dans les différents lieux photographiés. Huit expositions ont été consacrées à la nature et l’homme.

Nous avons commencé notre parcours aux Rencontres de la photographie d’Arles 2022 par l’impressionnante et émouvante collection du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, de 1850 à nos jours, 160 ans de photographie au Palais de l’Archevêché. Cette exposition  au titre évocateur, Un monde à guérir, a été produite par le Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et les Rencontres de la photographie d’Arles et avec le soutien de la Suisse et de la Ville de Genève.  

Puis nous avons traversé la place centrale arlésienne, à l’église Sainte-Anne et visité l’exposition Capter le mouvement de Babette Mangolte, cinéaste et photographe, lauréate du prix Women in Motion, qui nous fait voir l’œuvre de quelques photographes sur des chorégraphies et performances des années 70 à New York. Sans le savoir au préalable, nous découvrons alors une artiste chilienne-américaine, Sylvia Palacios Whitman, une pionnière de la performance, née en 1941 à Osorno, au sud du Chili et vivant à New York depuis son enfance.

L’artiste a débuté sa carrière dans les années 60 à New York et a présenté son travail pour la première fois au Chili en 2020. Ses performances et photographies qui ont ébloui la critique et le public à la fin des années 70, ont été à nouveau exposées à la Tate de Londres, le Kunsthalle de Vienne (Autriche), dans le Guggenheim de New York (années ’70), , le Whitney Museum of American Art, ou encore le Moderna Museet de Stockholm…  En octobre 2020 a été présentée au Centre national d’Art contemporain de Cerrillos la Mostra Alrededor del borde (Autour du bord), accompagnée de quatre performances de l’artiste de 80 ans. Sylvia Palacios Whitman avait dit à ce moment à une journaliste “Je n’ai jamais imaginé que le Chili pouvait s’intéresser à mon travail.”

Ensuite, notre déambulation à la recherche de photographes latino-américains invités aux Rencontres de la photographie, nous a amenés à l’École nationale supérieure de la photographie sur les traces de Carmen, une jeune femme révolutionnaire disparue en Équateur au début des années 80. Elle avait fait croire à sa famille qu’elle partait en Italie, mais en réalité elle n’avait jamais quitté l’Équateur et s’était engagée dans la guérilla et fut tuée. L’exposition de Estefania Peñafiel Loaiza (nièce de Carmen) déroule sa recherche à mi-chemin entre documentaire et fiction. Elle a été coproduite par l’Académie de France à Rome – Villa Médicis, la galerie Jean Gutharc et l’École nationale de la photographie d’Arles.

Dans le lieu appelé la Croisière, on nous a révélé La terre où est né le soleil grâce au regard de Julien Lombardi. Il s’agit d’une installation en forme de récit polyphonique au Mexique sur la terre sacrée des Indiens Huichols. Les Huichols luttent pour la préservation de leur terre sacrée où, selon leurs croyances, serait né le soleil. Mais des industries minières cherchent à tirer profit du sous-sol, un biotope unique au monde, avec de nombreuses espèces en voie d’extinction.

Et puis nous avons enfin atteint un de nos objectifs : découvrir l’exposition phare Ritual Inhabituel, Images Forêts Géométriques, luttes en territoire mapuche. Un collectif retrace la lutte du peuple mapuche pour la sauvegarde de ses territoires ancestraux et de la biodiversité et dénonce la surexploitation intensive des forêts par les grandes entreprises forestières nationales et internationales pour produire du papier. Le commissaire de l’exposition est Sergio Valenzuela et l’exposition a eu le soutien du ministère des Cultures, des arts et du patrimoine au Chili, de la Division des cultures (Dirac) et de la Diplomatie publique du ministère des Affaires étrangères du Chili.  À la chapelle Saint-Martin du Méjean, de grandes et magnifiques photos de la forêt au sud du Chili dans la région de l’Araucanie sont exposées et on peut voir une vidéo où huit Indiens Mapuches s’expriment sur leur quotidien et sur leurs aspirations et espoirs que quelque chose puisse changer. Actes Sud a publié un magnifique livre, Forêts Géométriques, Luttes en territoire Mapuche, avec une belle préface des photographes Tito González García et Florencia Grisanti qui déclarent : « nous avons photographié cette cohabitation de l’Indigène et de l’Occidental. »

« Vu du ciel, le sud du Chili est un spectacle à la fois beau et inquiétant. Une immense étendue de terre verte. Il s’agit de forêts de pins et d’eucalyptus introduites là où des siècles auparavant existait une grande diversité de couleurs », écrivent-ils  avant de  dénoncer la manière dont aujourd’hui, grâce à la biotechnologie, les forestières produisent de la cellulose à grande échelle. Dans ces terres, donc, cohabitent en conflit depuis des décennies ces grandes forêts des multinationales et la surexploitation de l’environnement, et le peuple mapuche avec sa cosmovision spirituelle de la Terre Mère. Lors de l’ouverture de l’exposition était présente Elisa Loncón, première présidente de la Convention constituante chilienne, et femme Mapuche linguiste. Actes Sud, organisateur de la manifestation Agir pour le Vivant, créée il y a trois ans pendant la semaine des Rencontres de la photographie, l’a accueillie également. 

Elisa Loncón en a profité pour se rendre à Paris, jeudi 25 août dernier, pour défendre le projet de nouvelle Constitution soumis à référendum dimanche 4 septembre, et dont l’issue paraît incertaine.

Près d’une centaine de compatriotes sont venus la rencontrer. D’après les derniers sondages publiés avant la fin officielle de la campagne référendaire le 1er septembre, le « Rechazo » (rejet) de la proposition de nouvelle Constitution, qui devrait remplacer celle de 1980 en vigueur et héritée de la dictature, est donné gagnant avec une dizaine de points d’avance. Mais Elisa Loncón, représentante du peuple mapuche au sein de l’Assemblée constituante chilienne veut se montrer optimiste : « les sondages ne représentent qu’un fragment de la population. Ils invisibilisent le poids de certains groupes, comme les jeunes qui s’apprêtent à voter pour la première fois. L’option du changement est toujours mal mesurée par les sondeurs quand le peuple est appelé aux urnes après des mouvements sociaux de masse », dit-elle. 

Au Chili, à quelques heures de la fin de la campagne pour ou contre la nouvelle Constitution, les manifestations se multiplient partout dans le pays et les esprits s’échauffent. À Santiago, dimanche 28 août dernier, lors d’une manifestation massive de cyclistes, comme tous les dimanches, des charrettes paysannes tirées par des chevaux et par des hommes munis de longs fouets se sont  heurtées aux manifestants, blessant nombre d’entre eux. 

Le Chili sera en haleine jusqu’au 4 septembre. En France, à Paris, les ressortissants chiliens seront nombreux aux bureaux de vote à Neuilly, au collège et lycée espagnol. Nous avons bien sûr eu le plaisir de découvrir le travail d’autres photographes d’autres contrées du monde s’intéressant à diverses thématiques. Cette déambulation de chaque année aux Rencontres de la photographie d’Arles est un rendez-vous incontournable.

Olga BARRY