Donald Trump en grandes manœuvres latino-américaines

Cette insistance pérennisée bien qu’elle se soit manifestée de façon différente d’un pays à l’autre interroge. L’Amérique latine est une périphérie géopolitique, sans réelle influence sur la diplomatie mondiale, sans forces armées dignes de ce nom, sans rayonnement économique particulier. La relecture des évènements courants montre pourtant que l’Amérique latine a mobilisé le Département d’État (ministère des affaires étrangères), et celui de la Défense, en dépit de la guerre d’Israël à Gaza et du conflit européen entre Russie et Ukraine.

Les initiatives commerciales unilatérales de Donald Trump ont touché l’Amérique latine comme le reste du monde. Tout le monde a été mis au taux de base de + 15 %. Le Brésil à + 50 % fait exception. Cuba déjà soumis à un sévère régime de sanctions a été victime d’un tour de vis supplémentaire. Tandis que le Venezuela, également sous sanctions, a pu réactiver ses activités pétrolières vers les États-Unis l’entreprise Chevron ayant obtenu les autorisations nécessaires. La lutte contre le trafic des stupéfiantes et les migrations vers les Etats-Unis ont justifié d’autres interventions.

Le Secrétaire d’État, Marco Rubio, s’est rendu en Équateur et au Mexique les 2, 3 et 4 septembre 2025. Il s’est félicité des transferts aux États-Unis pour y être jugés, et à leur demande, de nationaux mexicains soupçonnés de narcotrafic. 29 le sont allés en février 2025 et 26 le 13 août. Il a sollicité l’Équateur afin qu’il accueille dans ses prisons les migrants jugés indésirables aux Etats-Unis suivant le modèle expérimenté avec le Salvador. A l’Équateur il a signalé aussi que les Etats-Unis répondraient positivement à toute demande d’une présence militaire permanente. Comme cela avait été le cas à Manta, aux portes de la Colombie jusqu’en 2009. Une flotte de bateaux militaires, comprenant un sous-marin nucléaire, et une dizaine d’avions F-35, ont été déployée dans la Caraïbe, pour verrouiller les côtes du Venezuela, pays dénoncé comme exportateur de stupéfiants.

Le rôle d’un cartel de militaires d’active proche du président Nicolas Maduro qualifié des Soleils, emblème figurant sur les casquettes et les épaulettes de ces officiers, a été dénoncé. Un petit bateau, suspecté de transport de drogue, a été coulé le 3 septembre avec les onze personnes se trouvant à son bord. Le cartel de los Soles est inconnu des spécialistes de la question. Aucune preuve n’a été présentée pour valider la thèse d’un narco-bateau.

Le Brésil a été sanctionné commercialement pour diverses raisons. La première est celle d’avoir engagé des poursuites contre l’ex-président Jair Bolsonaro accusé d’avoir été l’organisateur de la tentative de coup d’État du 8 janvier 2023. Cette procédure a été présentée comme contraire aux droits de l’homme par les autorités des Etats-Unis. Elles ont adopté des mesures ciblant le juge instruisant le dossier, Alexandre de Moraes, interdit de séjour aux États-Unis, tout comme le ministre brésilien de la justice, Ricardo Lewandowski. Le Brésil est par ailleurs sévèrement critiqué par Donald Trump pour avoir inventé un système de paiement dématérialisé, appelé Pix. Ce système a en quelques mois concurrencé avec succès les réseaux nord-américains Mastercard et Visa, situation présentée comme déloyale par Washington qui en demande la suspension.

Un argument idéologique a par ailleurs été présenté par Donald Trump. Le Brésil aurait pris un virage d’extrême gauche. Le Venezuela lui aussi, confirmant un passé trouble et anti-démocratique. On saisit mal si on s’en tient aux justificatifs avancés la cohérence de ces initiatives et de ces déclarations. Pourquoi ce déploiement de forces militaires face au Venezuela qui est loin d’être au cœur des trafics de stupéfiant en Amérique latine ?  Les grands producteurs de coca sont la Bolivie, la Colombie et le Pérou. Les logistiques exportatrices principales passent par les ports équatoriens et le Mexique. Les décisions prises à l’égard du Venezuela sont en accordéon. Tantôt elles signalent un possible rapprochement après des échanges de personnes et une ouverture pétrolière. Tantôt elles coupent court à toute évolution, avec une gesticulation militaire. La dénonciation du communisme de la part d’un président qui a rencontré le dictateur de Corée du Nord, dont le régime est officiellement marxiste-léniniste et se dit ouvert à une nouvelle réunion bilatérale ne tient pas la route.

Qualifier Lula et même Maduro de gauchistes relève de l’argumentaire de réseaux sociaux, convaincant pour les convaincus, il est vrai amis politiques du parti républicain. Alors ?

Une déclaration faite par le Secrétaire d’État Marco Rubio, au cours de sa visite en Équateur, le 4 septembre, apporte un éclairage supplémentaire sur les non-dits de ces diverses initiatives. Notre condamnation du trafic de stupéfiants, sont modulées par la réceptivité manifestée par les gouvernements. Les autorités amies, ne seront pas traitées de la même manière que celles qui privilégient la contestation. Il avait déjà porté ce jugement le 3 septembre à Mexico. « Aucun gouvernement ne coopère davantage avec nous dans la lutte contre la criminalité que le gouvernement du Mexique, le gouvernement de la présidente du Mexique[1] » avait-il dit pour se féliciter de la qualité de la coopération bilatérale.

Le Venezuela et le Brésil en revanche a été particulièrement visé, comme pays peu fiables. Caracas ne cache pas ses bonnes relations avec la Chine, l’Iran et la Russie. Quant au Brésil, non seulement il est membre des BRICS, entité internationale de résistance à l’influence des États-Unis dans tous les domaines, mais il prétend à une relation égalitaire, supposant par exemple l’adoption de contre-mesures tarifaires répondant à celles des États-Unis. Le Brésil a par ailleurs rejeté toute bilatéralisation de la relation avec Washington. Il a saisi l’OMC sur les décisions douanières de l’administration Trump. Il s’efforce de trouver des marchés de substitution au Mexique, en Asie, et en Europe. Il a renforcé son lien économique et diplomatique avec la Chine. D’autres latino-américains ont privilégié cette voie. La Colombie a saisi la CELAC (Communauté des États d’Amérique latine et de la Caraïbe) pour exiger un respect des souverainetés et de la dénucléarisation des Amériques, en vigueur depuis l’adoption du traité de Tlatelolco en 1968.

L’imbrication des économies a permis au Brésil d’obtenir quelques résultats validant sa stratégie. Le tarif douanier à 50 % est plein de trous. Le gros de ce qu’exportent les Brésiliens n’est pas touché, les jus d’orange par exemple. La France a confirmé sa coopération militaire. Naval groupe a signé de nouveaux accords concernant la construction par le Brésil et au Brésil d’un sous-marin à propulsion nucléaire. Mais la mise en œuvre de stratégies commerciales et diplomatiques alternatives s’avère difficile.

Dix pays membres de la CELAC ont refusé le 5 septembre dernier de condamner la présence militaire des États-Unis au large des côtes vénézuéliennes[2]. Au nombre de vingt ceux qui ont censuré ce déploiement pourrait d’une élection à l’autre se réduire. Le Guatemala a dès le 5 septembre retiré sa signature. La Bolivie le 19 octobre va élire un premier magistrat de droite, pro-nord-américain. Le Chili en novembre prochain pourrait également basculer. Tout comme la Colombie en 2026. En Europe seule l’Espagne a manifesté en paroles et en actes son refus de toute remise en cause des souverainetés. Elle a suspendu les négociations engagées pour acquérir des F-35 avec la firme nord-américaine Lockheed Martin pour privilégier l’achat d’avions européens. Son président de gouvernement ne s’est pas rendu à Canossa (Washington) le 18 août 2025.

Restent au Brésil, les partenaires du groupe BRICS, l’Afrique du Sud et l’Inde, malmenés par Washington, la Russie visitée par Lula, mais qui n’offre que peu de perspectives économiques, et la Chine, depuis plusieurs années premier partenaire commercial. Partenaire respectueux de la souveraineté brésilienne certes, mais concurrent industriel redoutable. Mais Lula et à sa diplomatie souveraine doivent passer un cap difficile celui des prochaines présidentielles, en 2026, face à une opposition survoltée par l’appui des États-Unis et, comme au Venezuela, n’hésitant plus à adopter des positionnements « collaborateurs ».