Mexique, comment chanter sans pleurer le coronavirus. Facile à dire. Difficile à vivre

Les mariachis de la place Garibaldi, au coeur de la capitale mexicaine, ont perdu leurs clients et amis. Tous confinés par le coronavirus. Quelques musiciens bien seuls jouent pour garder le ‘’la’’, devant un public policier verrouillant les attroupements, prohibés aux mélomanes comme à tout un chacun. Canta No Llores, chante et ne pleure pas. Et tu trouveras ton cielito lindo, l’âge d’or perdu, fredonnent pourtant ces stakhanovistes du violon et de la trompette.

Photo : Excelsior

Facile à dire. Difficile à vivre. L’heure est aux Añoranzas mexicaines. Le mariachi comme ses compatriotes a l’esprit meurtri par les miasmes d’une menace cachée de plus en plus pressante. Comble du malheur, un lutteur célèbre, porteur de masque, profession oblige, Matematicas II, est tombé sur le ring du covid-19. La nouvelle, stupéfiante, a été révélée par Matematicas I, son papa, catcheur lui aussi.  La pandémie comme ailleurs en Amérique latine a frappé tardivement le pays aztèque. Après avoir suivi en janvier la chute de la Maison chinoise, celles en février de la Mère gabacha espagnole, de ses voisins français et italien, puis enfin en mars celles des gratte-ciels états-uniens, le foyer national mexicain a été infecté par effet domino. Plus lentement que le Brésil, mais bien davantage que l’Argentine.  

Après un départ hésitant, la contagion a pris sa vitesse de croisière. Catrina Covid-19, croque trois cents victimes chaque jour depuis la fin mai. Le 30, le seuil des dix mille décès avait été franchi selon le décompte officiel du système dit ‘’Sentinelle’’ qui repose sur les déclarations volontaires faites par les centres de santé du pays. « Celles-ci restent parcellaires », a signalé le sous-secrétaire d’état à la santé, Hugo López Gatell. En clair, ce chiffre de dix mille morts donne un ordre de grandeur à prendre comme tel. La capitale, l’État limitrophe de Mexico, et le Nuevo León sont les territoires plus affectés.

Après avoir recommandé les gestes de distanciation sociale le 31 mars, dit Jornadas de sana distancia, les autorités ont décrété un état d’alarme sanitaire. Les écoles et les commerces non essentiels ont été fermés, les rassemblements, quelle que soit leur nature, suspendus, la circulation automobile régulée. Ces mesures d’une durée d’un mois, ont été prolongées jusqu’au 30 mai. Parallèlement, le gouvernement a organisé un pont aérien exceptionnel Mexico/Shanghai. Pour importer masques, gants et respirateurs achetés à la Chine.

Les mesures de distanciation sociale restent d’actualité. Les importations d’articles sanitaires chinois également. En revanche, dès le 1er juin un plan de déconfinement a commencé à être appliqué. Un certain nombre d’activités économiques, construction, industries et commerces vont progressivement reprendre. Modulées en fonction de considérations épidémiologiques territorialisées portées sur un feu de signalisation national quadricolor, -Rouge. Orange, Jaune et Vert.

La cohabitation de décisions antagonistes a déconcerté. Comment appeler à la reprise de la vie sociale alors que le pic de la pandémie n’a pas été atteint ? Le Sous-secrétaire d’État à la santé ne cache rien. Il annonce les mauvaises nouvelles, les décès quotidiens. Il recommande de ne pas baisser sa garde. Et laisse au Président de la République la responsabilité de donner une clef de compréhension d’ensemble.

AMLO, Andrés Manuel López Obrador, le président, n’est pas avare de mots. Tous les matins à sept heures, il offre une mañanita de questions-réponses à la presse. Au début de la pandémie, il y signalait la nécessité de ne pas se laisser dépasser par le virus. Joignant le geste à la parole, il a multiplié les bains de foule, invitant ses compatriotes à vivre normalement, et ostensiblement montré les médailles bénites qui le protégeraient du Mal. Avant de recommander ensuite le respect de mesures de distanciation sociale, puis de se résoudre, le 31 mars, à confiner d’autorité la population et à suspendre ses déplacements en province. 

Adepte lui aussi du ‘’en même temps’’ al mismo tiempo il a repris le 29 mai ses voyages autour du Mexique. En signalant qu’il suivrait les précautions recommandées par son Sous-secrétaire d’État à la santé. Il défend le travail de prévention de son ministre, tout en légitimant la reprise du travail, qualifiée de ‘’nouvelle normalité’’. Il n’y a « rien d’incompatible » a-t-il expliqué. Cette combinaison va permettre au Mexique de conforter la réalisation de sa quatrième révolution, ambition affichée pendant sa campagne électorale de 2018. Afin de donner aux pauvres, à la majorité des Mexicains, la place qu’ils méritent.

Le premier contact provincial, au Chiapas, lui a permis de rappeler le caractère fondamental de l’investissement public, construction dans le sud du pays d’un TGV transocéanique, ‘’le train Maya’’ et d’une raffinerie, et mise en chantier d’un nouvel aéroport international, à quelques kilomètres de la capitale. Ce qui exige un effort financier public d’autant plus important qu’il faut ‘’en même temps’’ financer l’importation de respirateurs et autres articles sanitaires.

La martingale budgétaire privilégiée reste celle qui a été mise dans les tuyaux gouvernementaux dès le 1er décembre 2018, jour de son entrée en fonction. Les marges financières doivent être trouvées en réduisant le train de vie de l’État et en s’attaquant à la corruption. Le dernier plan économique sans surprise a confirmé ce choix. La santé et les politiques sociales, les grands projets vont être abondées par les autres départements dont les lignes budgétaires ont été réduites de 75 %. Un nouveau groupe de fonctionnaires de catégorie A ont vu leurs salaires baisser de façon substantielle. Le 13e mois ne sera pas versé cette année.

Le ‘’en même temps’’, et les coupes budgétaires ont élargi la perplexité de beaucoup de ceux qui ont voté AMLO en 2018. Chercheurs du Conacyt et universitaires en situation de sinistre financier demandent des comptes. À gauche, on s’interroge sur l’absence de réforme fiscale et sur le choix de l’austérité qui assèche progressivement les moyens dont dispose l’État pour changer le Mexique[1]. La grande écrivaine, Elena Poniatowska, s’en est publiquement étonnée dans les colonnes du quotidien espagnol El País, le 25 mai. ’’Le slogan de la campagne de notre président était, ‘D’abord les pauvres’. Mais pour aider les pauvres il faut savoir avec quel argent’’.  

À la décharge du Président mexicain, nostalgique d’un Mexique aujourd’hui introuvable, nationaliste, social, cultivant les valeurs de la Révolution, le pays est victime d’une triple contrainte. À l’extérieur celle de son puissant voisin du Nord. Et en interne celle d’un patronat qui le tolère à condition de ne rien toucher de fondamental à l’ordre social. Alors que 50 % des gens vivent dans l’informalité. Ricardo Monreal, responsable du groupe sénatorial de MORENA, le Mouvement majoritaire, a rappelé sans malice qu’AMLO, de province en province, exerçait une présidence itinérante. À l’image de celle de Benito Juárez, contraint par les soldats de Napoléon III et ceux de l’Empereur Maximilien a trois années d’errance[2].   

Jean-Jacques KOURLIANDSKY


[1] Voir Fabiana Rita Dessotti, Fabio Luis Barbosa Dos Santos, Marcela Franzoni, ‘’Mexico, e os desafios do progressismo tardio’’, São Paulo, Editora Elefante, 2019

[2] Lire a ce sujet le roman de Fernando del Paso, ‘’ Noticias del imperio’’, Mexico, Fondo de cultura economica, plusieurs editions