Coronavirus : la « coopération » du cartel de la drogue et un président superstitieux

Le 18 mars 2020, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador, surnommé AMLO, déclarait se protéger du coronavirus à l’aide d’amulettes et de porte-bonheur. En attendant le pic des contagions vers la mi-mai, il recommande à la population de se réfugier dans la foi pour lutter contre le fléau alors que le cartel de la drogue et son plus illustre représentant, Joaquín El Chapo Guzmán, volent au secours des plus démunis.

Photo : BBC

Depuis le 20 avril, la capitale du Mexique et plusieurs régions du pays ont atteint de façon « irrémédiable » la Fase 3 de l’épidémie, selon Hugo López-Gatell. Le vice-ministre de la Santé en charge du COVID-19, un épidémiologiste, a exhorté la population à un isolement « massif et urgent » comme « notre dernière opportunité pour éviter de saturer le système de santé » et a déclaré : « l’objectif est de contrôler le nombre d’infections nouvelles pour aplanir la courbe épidémiologique et étaler les cas graves dans le temps. »

Le temps : c’est le mot clé, le temps qui avance à grands pas dans un pays où la pauvreté touche 52 des 129 millions de Mexicains et où presque 60 % de travailleurs appartiennent au secteur dit « informel », sans salaire régulier ni protection sociale. La priorité est donc d’éviter le collapsus des institutions responsables de la santé car, d’après les prévisions et malgré le faible nombre de décès comparé à d’autres pays – 1 300 morts depuis le début de l’épidémie –, le pire est à venir. En effet, les autorités sanitaires estiment que la ligne rouge sera atteinte vers le 10 mai. La Sana Distancia, qui avait été programmée dès le 30 mars jusqu’au 30 avril, a été prolongée jusqu’au 30 mai.

C’est dans un cadre de précarité galopante que cette crise frappe lourdement ce pays déjà fragilisé bien avant l’explosion de la pandémie. La restriction des exportations ne fait qu’aggraver la situation, au point que certains experts s’accordent à dire qu’ « une tragédie nationale pourrait être en train de se produire » (source : The Conversation). En effet, l’économie mexicaine est largement dépendante des États-Unis : 81 % des exportations (35 % de son PIB) y sont destinées. À cela, s’ajoute la période de récession qui s’annonce à Washington, réduisant au chômage un pourcentage important des dizaines de milliers d’immigrés qui transfèrent régulièrement de l’argent vers leurs compatriotes mexicains.

En attendant le nouvel accord commercial nord-américain (AEUMC) qui entrera en vigueur le 1er juillet et qui concerne les États-Unis, le Mexique et le Canada, le gouvernement craint surtout une augmentation exponentielle du déficit public, comme conséquence de l’aide distribuée aux entreprisses frappées par la suspension ou le ralentissement de la production ainsi que par l’octroi d’indemnités aux populations les plus démunies. Pour cette raison, la matérialisation de la promesse d’un soutien financier des institutions internationales se révèle urgente et est attendue avec impatience puisqu’un autre fléau, certainement plus puissant, commence à gagner sur le terrain que Andrés Manuel López Obrador avait conquis par les urnes.

Un appel international avait été lancé par l’ONU le 25 mars dernier, visant à réunir 2 milliards de dollars pour subvenir aux besoins des 54 pays les plus touchés par la crise, dont le Mexique. Ce jour-là, Tedros Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé, et Mark Lowcock, secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires de l’Organisation des Nations Unies, ont lucidement déclaré : « Ne pas aider les pays les plus pauvres à combattre le COVID-19 serait cruel et imprudent ». Ce zèle de prudence et de commisération est encore plus justifié par la vague philanthropique produite par ce fléau qui ne cesse de ronger les bases de la société et que la paralysie gouvernementale peut transformer à moyen terme en lame de fond, voire en raz de marée sur le panorama politique mexicain : les cartels de la drogue.

Le Cartel del Golfo, le Cartel de Jalisco Nueva Generación, le Cartel de Sinaloa et Los Viagras sèment la terreur depuis des années et sont à présent devenus les profiteurs de la pandémie. Ces escadrons du crime organisé tentent d’élargir leurs réseaux parmi les zones d’ombre délaissées par l’État en distribuant des denrées non périssables dans les quartiers marginalisés. Par exemple, dans un entrepôt de la ville de Guadalajara, les employées portent des masques à l’effigie de Joaquín « El Chapo » Guzmán, le baron de la drogue condamné l’an dernier à la prison à perpétuité aux États-Unis. Sur les colis, est imprimé le visage du Chapo avec l’inscription « ElChapoGuzman.com ». 

Devant cette situation sanitaire inédite, les cartels ont certainement été encouragés par l’attitude médiocre frôlant le ridicule du président AMLO. Depuis la détection du premier cas, le 27 février, faisant fi des « gestes barrières », il serrait encore les mains des gens, brandissant des amulettes devant les journalistes, et déclarait être protégé du virus grâce aux porte-bonheur – il a même serré la main de la mère du magnat de la drogue « El Chapo » ! Les 12 et 13 mars, la 83e convention bancaire, organisée par l’association des banques mexicaines, fut autorisée à Acapulco : des participants ont été contaminés par le coronavirus. Le 14 mars, malgré les recommandations de l’OMS, le gouvernement a autorisé le rassemblement de 70 000 personnes au plus grand festival mexicain de musique : le Vive Latino. Enfin, fin mars, López Obrador incitait les familles mexicaines à se rendre dans les restaurants.

Par un discours d’une naïveté déconcertante, AMLO a envoyé un message aux narcos (« … il faut aimer la vie, la vie est le plus sublime, est une bénédiction... ») et s’est adressé à ceux qui n’ont pas commis des délits graves : « … après cette difficile situation, nous allons vous proposer des alternatives pour que vous puissiez vous réincorporer à la vie publique et être des gens bien, de retour au foyer familial, pour que vous soyez heureux et pour que vous ne vous sentiez pas obligés à faire du mal à autrui ».

Pendant ce temps, pour couronner sa campagne médiatique, le président mexicain a remercié son homologue et désormais allié Donald Trump. Le président des États-Unis « s’est comporté d’une manière extraordinaire, il s’est solidarisé avec le peuple du Mexique et il a été très respectueux envers le gouvernement. Je lui ai demandé de l’aide et il va nous envoyer 1000 ventilateurs... » Le geste est louable, certes, mais la quantité trop dérisoire, symbolique, si l’on tient compte de la totalité de la population.

Il a fallu attendre le 30 mars pour que López Obrador prenne conscience de la gravité de la crise. Il a suivi les recommandations de l’épidémiologiste Hugo López-Gatell avec la mise en place de l’état d’urgence sanitaire. « Si nous ne restons pas chez nous, la contamination pourrait exploser (…), ce serait incontrôlable », a dit le président, exhortant les Mexicains à un confinement volontaire et massif. Depuis le lundi 27 avril, l’usage du masque est obligatoire pour tout le monde.

Eduardo UGOLINI