Le pisco, résultat d’une distillation de cépages particuliers, se déguste en cocktail savamment préparé avec du sirop de sucre de canne, du jus de citron vert et du blanc d’œuf qui lui donne cette écume moussante en surface. Ce savoureux alcool de raisin est au cœur de la tourmente. En effet, Chili et Pérou se disputent l’antériorité et la propriété de l’appellation «pisco». Cette querelle ancestrale, amplifiée par l’expansion des exportations, reflètent des enjeux à la fois politiques, économiques, et culturels.
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Début mars, durant son voyage à Lima, le ministre de l’Agriculture du Chili Antonio Walker a proposé à son homologue péruvien, Gustavo Mostajo, que le Pérou accepte la dénomination d’origine du pisco à la fois pour le Pérou et le Chili : «Notre proposition est que les deux pays se complètent et reconnaissent réciproquement la dénomination d’origine des deux pays sur le marché international.»
Cette proposition fut rejetée par le gouvernement péruvien. Le ministre de la Culture, Rogers Valencia, réagit : «La dénomination pisco consiste en trois points : premièrement, l’espace géographique où se cultivent les raisins du pisco. Deuxièmement, la manière de produire le pisco, et enfin que le pisco se fasse avec la variété de raisin adapté. S’il n’y a ni la variété d’origine, ni le respect du processus de fabrication, alors la dénomination pisco n’est pas recevable.»
Ces litiges entraînent pour les deux pays des coûts importants dus aux démarches juridiques entamées, notamment sur les marchés asiatiques, en Thaïlande et en Inde, pays d’exportation.
Une querelle déjà ancienne
En 2016, un scandale télévisé avait déjà mis le pisco sur le devant de la scène. Le présentateur chilien Christian Pino avait alors eu le malheur de parler de «pisco peruano», ce qui lui a valu un licenciement de la part de la chaîne télévisée Canal 24 Horas pour «perte de confiance».
Ce licenciement a coïncidé avec la sortie du livre El pisco nació en Chile, de Pablo Lacoste, historien argentin ayant réalisé des recherches sur l’épineux sujet et selon qui l’origine serait élucidée. Comme preuve, il avance un document de 1733 extrait des Archives nationales de Santiago relatif à l’inventaire des biens de l’hacienda La Torre (Vallée de l’Elqui), qui mentionne trois jarres de «pisco». Pour l’historien, l’utilisation du terme «pisco» à cette date, soit un siècle avant que le Pérou ne l’emploie, prouve donc l’origine chilienne de cette alcool.
Face à cette argumentation, les Péruviens répliquent avec le testament de Pedro Manuel El Griego, daté du 30 avril 1613, enregistré chez le notaire Francisco Nieto à Ica (Pérou) et conservé dans les Archives de Lima. Ce document recense la présence de trente cuves et d’un tonneau remplis d’arguadiente (eau-de-vie) et du matériel de distillation nécessaire à sa fabrication. Par ailleurs, la région portuaire de Pisco est depuis plus de 400 ans le siège d’une importante exportation de l’«aguardiente de Pisco». Ce à quoi Pablo Lacoste réplique qu’il faut bien distinguer l’aguardiente du pisco.
Pisco, ville et région péruviennes
Cependant, l’appellation s’appuie en général sur le nom de la zone géographique d’où est issu le produit en question. Or, la région de Pisco est bel et bien au Pérou même si les Chiliens ont rebaptisé en 1936 le village de La Unión en Pisco pour renforcer leurs droits à l’appellation.
Au-delà de l’aspect identitaire, cette querelle reflète également des enjeux économiques. Le Chili dépasse le Pérou autant en termes de production du pisco –36 millions de litres contre 9 millions– que de consommation par habitant –2,3 litres contre 0,22 litre. Aussi la bataille des marchés internationaux avec l’appellation pisco est de taille. Les États-Unis et l’Union européenne importent du pisco d’origine péruvienne et chilienne. Et pour ajouter du piment à la querelle : le Chili est le premier importateur de pisco péruvien.
Cette querelle identitaire n’est donc pas prête de s’éteindre. Alors autant poursuivre le débat autour d’un verre de pisco… chilien ou péruvien. «Salud» !
Alexandra JAUMOUILLÉ