Le nouveau président du Paraguay est le fils de l’ancien bras droit du dictateur Stroessner

Lorsque Mario Abdo Benítez remporta l’élection en avril 2018 et devint président du Paraguay le 15 août 2018 à l’âge de 46 ans, c’est une période nouvelle qui commence pour ce pays enclavé entre l’Argentine, la Bolivie et le Brésil. Mario Abdo Benítez était le candidat du parti conservateur Colorado, qui gouverne presque sans interruption depuis 1947.

Photo : Radio Habana Cuba

Né à Asunción le 10 novembre 1971, Mario Abdo Benítez a fait ses études à l’université Telko Post du Connecticut aux États-Unis, où il obtint un diplôme en marketing. Nommé en 2005 vice-président du Parti colorado, élu sénateur en 2013, puis président du Sénat de 2015 à 2016, il remporte l’élection avec 46,49% des voix contre 42,72% pour son adversaire Efraín Alegre à la tête de la coalition de centre gauche.

«Marito» (petit Mario), tel qu’il aime qu’on l’appelle, a montré sa volonté de lutter contre «le plus grand cancer du pays» comme il l’a dit lui-même au cours de sa proclamation : «Je veux unir les gens dans une lutte frontale contre l’impunité […] Sans impunité, la corruption a ses jours comptés.» Mais si son discours de séduction «anti-corruption» a trouvé un large écho dans l’opinion publique, discours démagogique calqué sur les formules utopiques d’autres dirigeants latino-américains, pour beaucoup de Paraguayens il est surtout «le fils de la dictature».

En effet, Marito a des rapports étroits avec les années Stoessner. Son père, Mario Abdo, était le secrétaire personnel du dictateur qui gouverna le Paraguay en maître absolu et d’une main de fer pendant trente-cinq ans (1954-1989). Rappelons qu’Alfredo Stroessner, qui était également à la tête du Parti colorado (P.C., le même parti du nouveau président), était le chef des forces armées en 1951. Il prit le pouvoir trois années plus tard grâce à un coup d’État et élimina toute opposition. Constamment réélu, il fut renversé en 1989 par un soulèvement militaire. Entre-temps, Mario Abdo, le père du président récemment élu, était devenu secrétaire du dictateur et semble avoir profité largement, comme certains le suggèrent, du «plus grand cancer» que son fils a promis de combattre : il lui a laissé une immense fortune.

Le Paraguay reste encore marqué par le souvenir de la dictature, et certaines annonces du nouveau président suscitent la méfiance. Par exemple, soutenu par l’omniprésente Église catholique, M. Benítez s’est opposé à la légalisation de l’avortement et pour résoudre le problème du nombre élevé de mères célibataires, il a proposé que leurs fils intègrent l’armée : «Nous allons utiliser les casernes pour qu’ils apprennent un métier, chantent l’hymne national et retrouvent la fierté d’être paraguayen», a-t-il déclaré avec des mots qui évoquent de manière frappante la création des tristement célèbres jeunesses hitlériennes.

Ainsi nombreux sont ceux qui se demandent si le passé familial du nouveau président est compatible avec l’exercice de sa fonction démocratique. Craignant que le souvenir de la connivence entre son père et le régime dictatorial ait pu laisser des traces dans l’ADN politique de M. Benítez, certains rappellent les mots de Libanius, Qualis pater, talis filius[1], tandis que d’autres voient déjà ressurgir un jour les velléités autoritaires à travers une réforme constitutionnelle afin de prolonger son mandat, sous une dictature déguisée en démocratie, comme il arrive souvent en Amérique latine.

Le dragon engendre un dragon et le phénix un phénix, dit un vieux dicton chinois, mais dans la cas de «Marito» ces opinions méritent d’être nuancées. Car, de l’époque sombre de la dictature, il s’est justifié tout au long de sa campagne en rappelant qu’il n’avait que 16 ans à la chute du général Stroessner. En réalité, il se considère comme «un démocrate respectueux des institutions», et il insiste avec ses formules toutes faites sorties d’un manuel d’apprenti en soulignant sa volonté de «panser les blessures du passé pour affronter les défis de l’avenir».

Mais au-delà du discours officiel visant à séduire la population, «il a condamné les violations des droits de l’homme, les tortures et les persécutions commises sous la dictature, sans toutefois demander pardon ou tenter de lever le voile d’impunité qui recouvre ces crimes», remarque la journaliste Christine Legrand. Et elle ajoute : «Entre 1000 et 3000 personnes sont mortes ou ont été portées disparues pendant la dictature […]. Mario Abdo Benítez estime toutefois que Stroessner « a beaucoup fait pour son pays ». Il donne en exemple le barrage d’Itaipu, l’une des plus grandes centrales hydroélectriques du monde, partagée avec le Brésil et entrée en service en 1984. Aujourd’hui, 43% de l’électorat, âgé entre 18 et 34 ans, n’a pas connu la dictature.»

C’est la raison pour laquelle une deuxième lecture de son élection révèle qu’une grande partie de la population a tourné la page de la dictature. L’appui du jeune électorat populaire donc, constitue l’élément clé du renversement des mentalités. Or pour ne pas le décevoir, Mario Abdo Benítez a promis de reformer la justice pour combattre la corruption, lutter contre le trafic de drogue, garantir la continuité des politiques libérales qui ont permis au Paraguay une croissance annuelle d’environ 4% depuis dix ans et maintenir la baisse des impôts pour continuer à attirer les investisseurs étrangers. Autant de belles mesures censées donner une impulsion nouvelle à ce pays, l’un des plus démunis de la région, miné par les inégalités sociales et une pauvreté extrême dans laquelle vit un tiers des 7 millions d’habitants.

Eduardo UGOLINI

[1] «Tel père, tel fils», Libanius, rhéteur grec du IVe s. apr. J.-C.).