« Les Valises » du Vénézuélien Juan Carlos Méndez Guédez : entre roman noir et épopée kafkaïenne

Le Venezuela et ce qu’il s’y passe quotidiennement est devenu un sujet aussi délicat que Cuba dans les années quatre-vingt-dix. On s’enflamme dans un camp et dans l’autre et il est bien difficile, depuis l’Europe, de se faire une opinion. Juan Carlos Méndez Guédez, qui vit à Madrid depuis 1996, a une vision tranchée de l’actualité vénézuélienne et ne la cache pas. Il la partage avec humour dans son roman, Les valises, publié en Espagne en 2014.

Photo : Juan Carlos Méndez Guédez/Elisbeth Salas, éd. Métailié

Même le prénom du malheureux héros est un ratage : son père a voulu appeler son fils Donizetti en hommage à un air d’opéra qui lui avait tellement plu, mais il a confondu, l’air était de Puccini… Donizetti est un piètre amant. Sa « liaison », si l’on peut dire, avec une autre paumée, Marjorie, est une succession quasi homérique d’échecs, que cela se passe dans une miteuse chambre d’hôtel ou sur un parking, ses mérites en tant qu’époux ou que père restent à prouver, mais dans l’ensemble c’est un brave homme. Il est rédacteur dans une agence de presse de Caracas. En fait, il y a été parachuté, tout comme son chef, un colonel qui n’a rien oublié de ses belles années militaires (il continue de convoquer les réunions de rédaction par de tonitruants « RÉÉÉ DAAAC TEUURS AU RAAA PPOORT ! ») et n’a pour fonction que de vérifier que la ligne éditoriale est toujours bien parallèle à la politique de l’État.

L’activité secondaire mais lucrative de Donizetti consiste à livrer des valises dont il ignore le contenu dans un endroit ou un autre du monde qu’on lui indique par des instructions sibyllines : il les récupère dans des lieux divers de Caracas et les remet à Genève ou à Rome, obéissant aveuglément et sans rien savoir ni comprendre à des ordres donnés par on ne sait qui. C’est un pays bien malade que décrit Juan Carlos Méndez Guédez, un pays dominé par une violence gratuite et omniprésente, la surveillance généralisée de chacun, la présence inquiétante de quelques Cubains influents et, plus grave encore, l’acceptation au moins apparente de tous, la soumission à ce poids nommé le Processus, qui écrase le citoyen au point que les écoles primaires ont prévu une caisse de solidarité interne pour financer les rançons éventuellement demandées par un preneur d’otage, dans le cas où l’otage serait un enfant.

Soumis, Donizetti l’est, il obéit en tout : il obéit quand, à l’autre bout du monde, il doit se rendre dans des endroits bizarres, il obéit quand il rédige ‒ rarement ‒ des articles qui n’ont rien de personnel, puisqu’il doit suivre un modèle qu’on lui a fourni pour s’adapter aux ordres venus de plus haut. Plus haut, c’est un sombre nuage noir, des militaires, des proches du pouvoir, quelques Cubains dont on n’arrive pas à distinguer quelles relations, amicales ou hostiles, ils peuvent avoir entre eux, ce qui ne fait qu’exacerber le sentiment de danger perpétuel. Pourtant, pour Donizetti, le moment arrive où c’en est trop… Juan Carlos Méndez Guédez n’est de toute évidence pas un amoureux du régime chaviste. Ce qu’il montre de son pays et de sa capitale ne donne pas envie d’aller y séjourner. Mais ce qu’il nous décrit est le décor idéal pour des aventures parmi des espions, des mafieux, des truands et des politicards manipulateurs et manipulés, aventures qui permettent à deux hommes vaincus de se révéler à eux-mêmes en résistant.

Christian ROINAT

Les valises, de Juan Carlos Méndez Guédez, traduit de l’espagnol (Venezuela) par René Solis, éd. Métailié, 268 p., 21 €. Juan Carlos Méndez Guédez en espagnol : Los maletines, ed. Siruela, Madrid / El libro de Ester / Árbol de luna, ed. Lengua de Trapo, Madrid / Chulapos mambo /  Arena negra, ed. Casa de Cartón, Madrid / La ola detenida, ed. Harper & Collins, Madrid. Juan Carlos Méndez Guédez en français : La ville de sable, éd. Albatros, Genève / La pluie peut-être, éd. Orbis Tertius, Dijon / Les sept fontaines, éd. Jean-Maris Desbois, Les Baux-de-Provence / Mambo Canaille / Idéogrammes, éd. Zinnia, Lyon.

Juan Carlos Méndez Guédez est né à Barquisimeto au Venezuela en 1967. Après l’obtention de sa licence de lettres à Caracas, il quitte son pays natal pour étudier la littérature hispano-américaine à l’Université de Salamanque en Espagne, et réside actuellement à Madrid. De son parcours littéraire entre deux continents, est née une écriture primée à plusieurs reprises, comprenant une quinzaine de romans, des livres de contes, des essais, et des nouvelles qui abordent tous à leur manière les thèmes de l’amour et de l’éloignement et dont certains sont sortis en France aux éditions Zinnia.