Au Mexique, la transition écologique menacée par la politique énergétique du président López Obrador

Le 23 février, la Chambre des députés mexicaine s’est prononcée en faveur de la nouvelle loi de l’industrie électrique portée par le président Andrés Manuel López Obrador et son parti Morena. Cette réforme du secteur énergétique mexicain donne la préférence à la Compagnie fédérale d’électricité au détriment du secteur privé, dont dépendent très largement les énergies « propres » et renouvelables.

Photo : CIEP Mexico

Après la Chambre des députés, le Sénat mexicain vient également d’approuver, mercredi 3 mars, le projet de réforme de la loi sur l’industrie électrique (Ley de la Industria Eléctrica). La réforme portée par le gouvernement mexicain vise à rétablir le monopole de la Commission fédérale d’électricité (CFE) – compagnie publique en charge de la distribution électrique –, en lui donnant la préférence sur le secteur privé dans la production d’électricité. Pour le président Andrés Manuel López Obrador (« AMLO »), la refonte du secteur électrique est nécessaire « pour renforcer les entreprises de la nation, pour qu’elles soient indépendantes et que le prix de l’électricité n’augmente pas », selon les termes qu’il a employés en conférence de presse.

Le projet de réforme a suscité une levée de boucliers sur plusieurs fronts d’opposition au Mexique, se heurtant à la fois à la résistance des conservateurs du Partido Acción Nacional (PAN), du milieu des affaires et des écologistes. En effet, cette réforme remet profondément en cause la loi votée sous le mandat d’Enrique Peña Nieto, qui avait ouvert le secteur énergétique aux investissements privés, en 2013. Pour les sénateurs de l’opposition et les investisseurs, cette modification de la loi constitue une violation directe du traité de libre-échange signé entre le Mexique, le Canada et les États-Unis en 1994, qui contraint notamment l’État mexicain à respecter la libre concurrence en matière d’approvisionnement énergétique.

La souveraineté énergétique : un enjeu politique et social

Dans les faits, le Mexique est extrêmement dépendant de l’énergie fournie par les compagnies privées étrangères, notamment du gaz naturel importé du sud des États-Unis. La coupure d’alimentation massive qui a privé 4,7 millions de Mexicains d’électricité dans le nord du pays, mi-février, a révélé les failles de ce modèle de dépendance ; l’événement a été brandi par AMLO pour justifier la réforme du secteur électrique. La question de la souveraineté énergétique représente un véritable enjeu politique et social pour le Mexique, puisque l’accès à l’électricité reste marqué par de très fortes disparités régionales : on estime qu’un tiers des foyers mexicains vivent en situation de « précarité énergétique », soit avec un accès très irrégulier à l’électricité.

Au-delà du jeu politique et économique, la résistance à la réforme tient aux conséquences environnementales désastreuses qu’elle induit. Les écologistes pointent que ce revirement de la politique énergétique contredit à la fois les accords de Paris sur le climat et la loi de transition énergétique (Ley de Transición Energética) promulguée par l’État mexicain, en 2015. Les opposants à la réforme, écologistes et investisseurs compris, soulignent qu’en favorisant la CFE, López Obrador et ses alliés parlementaires mettent en péril l’essor des énergies « vertes » et renouvelables, qui dépendent de forts investissements du secteur privé pour leur production et pour la mise en place d’infrastructures de transmission et de distribution sur le territoire mexicain. Victor Ramírez, porte-parole du laboratoire d’idées Plateforme mexicaine pour le climat et l’énergie (Plataforma México Clima y Energía), estime que miser sur l’infrastructure pétrolière pour s’affranchir des États-Unis serait contre-productif, et que c’est au contraire « en diversifiant les sources d’énergie » et « en assurant la compétitivité du marché renouvelable », que le Mexique peut assurer sa sécurité d’approvisionnement énergétique sur le long terme.

La fin des ambitions en matière de transition écologique

Treizième émetteur mondial de gaz à effet de serre – en raison de son poids démographique, du dynamisme de son industrie et de l’omniprésence de la voiture individuelle –, le Mexique avait été le premier pays en développement à soumettre sa contribution nationale aux objectifs des accords de la COP21, en s’engageant à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 25 % d’ici 2030. Depuis son élection, en 2018, López Obrador a très nettement rompu avec les ambitions portées jusqu’alors par le pays devant la communauté internationale. Son projet politique vise avant tout à la rénovation de l’industrie pétrolière – ce dont témoigne le lancement de la construction d’une nouvelle raffinerie dans l’État de Tabasco, en 2019. Résultat : la part des énergies fossiles est en augmentation dans le mix énergétique mexicain ; en 2019, elles représentaient 91 % de la consommation d’énergie primaire, et les trois quarts de la production nationale d’électricité.

En matière de transition énergétique et écologique, le défaut de vision à long terme du gouvernement d’Andrés Manuel López Obrador est d’autant plus préoccupant que le Mexique subit déjà de plein fouet les effets directs et collatéraux du dérèglement climatique provoqué par la hausse des températures : sécheresses, précipitations et inondations accrues, bouleversement de la faune, disparition des franges côtières sous l’effet de la montée des eaux, mais aussi prolifération des maladies tropicales, notamment de la dengue… Ce modèle de développement, dans le contexte de forte croissance démographique et urbaine que connaît le Mexique, est insoutenable d’un point de vue économique ou social, et appelle à une révision profonde du modèle industriel et du mix énergétique.

Sarah TLILI