« Trafalgar »d’Angélica Gorodischer écrivaine argentine connue par ses nouvelles de science fiction

Chez Angélica Gorodischer, on se rencontre dans un salon de thé avec des tables en vrai bois, des nappes blanches et des services en porcelaine, et notre interlocuteur, entre deux cafés noirs bien serrés et non sucrés, nous raconte son récent séjour sur Veroboar où il vend discrètement de la Cafiaspirine dont on a découvert la vertu locale  : pour les Veroboariens la Cafiaspirine est un puissant stupéfiant. 

Photo : Editions La Volte

Trafalgar Medrano vit, comme Angélica Gorodischer, notre narratrice, dans la provinciale Rosario, au nord-ouest de Buenos Aires. Elle aime bien écouter en buvant de l’eau minérale son ami Trafalgar lui raconter ses voyages sur des planètes bizarres. Qu’ils sont beaux et inquiétants ces mondes visités par l’infatigable Trafalgar, cet Anandaha-A où, la nuit, rien ne peut briller car « l’obscurité avale tout », où les montagnes sont plates et où les gens ne sont pas tout à fait des gens, mais presque quand même ! Ces mondes ressemblent au nôtre sans l’être tout en l’ayant été ! 

On n’est parfois pas loin du tout de Jorge Luis Borges, l’étrange se confond avec le rationnel, Angélica Gorodischer joue beaucoup avec l’esprit mais, bien plus que le Maître, elle garde le plus souvent les pieds bien sur terre. Trafalgar voyage beaucoup d’une planète à l’autre. Il y en a de bien curieuses, Uunu, par exemple, sur laquelle la chronologie est légèrement bousculée : on se réveille non le lendemain, mais à une date indéterminée et pour revenir au cours « normal » du temps, il faudra attendre des jours ou des semaines avant enfin de repartir dans une cohérence qui est la nôtre. En un mot, le temps est constant, simultané, pas successif. C’est probablement le cas pour nous, pauvres mortels, qui avons tendance à l’ignorer (ou à l’oublier), mais sur Uunu ça se voit, ça se vit. Troublant et envoûtant ! 

Pas « intello », du reste, Angélica Gorodischer s’amuse beaucoup. L’humour est très présent, sur le langage surtout  : le Grand Livre officiel qui raconte l’Histoire de la Nation d’Aleiçarga, sur laquelle, malheureusement pour le lecteur, il ne s’est jamais rien passé, ou le portrait que ce très mal embouché de Trafalgar fait d’Isabelle la Catholique qu’il a fréquentée pendant un de ses voyages, sont pure réjouissance. 

Angélica Gorodischer, qui jamais ne se prend au sérieux, ne se moque pas pour autant de ses lecteurs, les grands bénéficiaires de ces fantaisies surnaturelles et pourtant si réalistes  ! 

Christinan ROINAT

Trafalgar de Angélica Gorodischer, traduit de l’espagnol (Argentine) par Guillaume Contré, éd. La Volte, 2018 p., 20 €.  Angélica Gorodischer en espagnol : Trafalgar, ed. El Cid, Buenos Aires, 1979 / Kalpa Imperial, ed. Minotauro, 1983 – Angélica Gorodischer en français : Kalpa Imperial, éd. La Volte, Clamart