Le 27 octobre 2019 : chute de bulletins de vote en Amérique latine…

Argentine, Bolivie, Colombie, Uruguay le 27 octobre. Les citoyens de ces quatre pays latino-américains sont invités à faire leur devoir électoral. Les uns, en Argentine, en Bolivie, en Uruguay, pour choisir leur président, et tout ou partie des parlementaires. Les autres, en Colombie, pour renouveler leurs représentants locaux et régionaux. Cette « chute de bulletins de vote », loin d’être anodine, interpelle.

Photo : El Sol

À première vue RAS, rien à signaler. Ces consultations respectent le calendrier. Les différents postulants ont pu faire acte de candidature et défendre leurs programmes. On imprime les bulletins. On révise l’état des urnes. La presse suit avec plus ou moins d’attention, selon les pays, mais suit tout de même le déroulement de la campagne électorale dans chacun des États concernés.

Pourtant. Pourtant, comme très souvent en Amérique latine, l’atmosphère électorale est lourde d’incertitude. Au point de laisser percer un parfum de malaise, ici et là. Détournement constitutionnel en Bolivie, assassinats de candidats en Colombie, rumeurs d’alternatives déstabilisantes sur les deux rives du Rio de la Plata, constituent une toile de fond qui modère l’optimisme démocratique.

Optimisme démocratique oui, bien sûr. Le rituel des consultations est sur les rails depuis que les dictateurs, civils ou militaires, ont été remerciés dans les années 1980. La rupture démocratique est admise, reconnue. Et ses valeurs sont revendiquées de droite à gauche. Cela dit, schismes et hérésies ont fait leur apparition. Et on assiste à un détournement des principes fondateurs. Au nom de la démocratie, telle que l’entend tel ou tel parti, on constate en 2016 des ajustements, altérant débats et concurrences « à la loyale ».

Evo Morales, en Bolivie, va se représenter. Pour la quatrième fois. En dépit de la Constitution qu’il a fait adopter et qui empêche la réélection indéfinie. En dépit de sa tentative référendaire d’en faire admettre le bien fondé… mais qui avait été rejetée par une majorité des électeurs le 23 février 2016.

La Colombie, depuis 2016 – date de la signature de l’accord FARC/Gouvernement – hésite à confirmer la voie de la paix. Démobilisés des FARC, militants associatifs, ils sont depuis trois ans la cible d’assassinats au goutte à goutte. Plusieurs centaines quand même au jour d’aujourd’hui. La campagne des municipales, reflet de ce doute, est l’une des plus mortifères de ces dernières années. Les candidats en sont les victimes aujourd’hui privilégiées dans les régions en dispute.

L’Argentine, bousculée par l’une de ces crises cycliques, qui la met à plat, s’apprête à tourner le dos au sortant de droite, Mauricio Macri, dans un climat de fin de règne et de désordre humanitaire qui menace d’emporter l’Uruguay, dont l’économie est largement tributaire de ses grands voisins, Argentine et Uruguay, tous deux en décroissance avancée. Certes, la gauche, le Frente Amplio, a de beaux restes. Mais la grisaille du quotidien apporte un « plus » aux candidatures traditionnelles, voire à celle de l’ancien chef d’État-major des armées, Guido Manini Rios.

Finalement, en dépit d’un contexte qui interpelle la pratique et les fondamentaux de la vie démocratique, le résultat est aussi porteur potentiel d’une géopolitique en mouvement. Les observateurs, disons rapides, portent souvent des jugements qualitatifs reposant sur la convergence fortuite de résultats allant dans le même sens. Il y aurait eu ainsi un cycle de gauche de 2000 à 2014. Suivi d’un moment des droites, toujours actuel. Ces convergences, qu’elles soient le fruit du hasard ou d’un cycle difficile à rationnaliser, ont en tous les cas créé les conditions de coopérations interaméricaines contrastées. D’esprit nationaliste et souverainiste, avec les gauches au pouvoir. Phase marquée par la création de l’ALBA (Alliance bolivarienne de notre Amérique), de la CELAC (Communauté des États latino-américains et de la Caraïbe), de l’UNASUR (Union des Nations d’Amérique du sud). D’esprit libre-échangiste et conservateur ensuite, diplomatiquement matérialisé par la suspension des institutions antérieures, remplacées par l’Alliance du Pacifique, le Groupe de Lima et Prosur.

À supposer que l’Argentine bascule vers le péronisme kichnériste, ce que laissent prévoir les sondages, qu’Evo Morales soit réélu, ce qui est l’hypothèse la plus probable et qu’à l’arraché le candidat du Frente amplio uruguayen perpétue la présence de la gauche au sommet de l’État, l’Amérique latine serait non pas de nouveau « à gauche ». Mais elle ne serait plus majoritairement « à droite ».

Jean-Jacques KOURLIANDSKY