«Des hommes en noir», le roman de Santiago Gamboa au tour de prêches et spectacle

La religion a depuis la «conquête» espagnole toujours été à la base des sociétés américaines. Depuis le milieu du XXe siècle, le catholicisme tout puissant  a cédé du terrain, remplacé à peu près partout par les Églises nord-américaines, celles qui mêlent prêches et spectacle, paillettes et doctrine. C’est vers cet univers que nous amène Santiago Gamboa dans son nouveau roman, mais certains religieux de son livre ne sont pas immaculés.

Photo : Universitad de Guadalajara

Tout commence par une fusillade à l’arme lourde en pleine nature, loin de Bogotá, avec l’arrivée soudaine d’un mystérieux hélicoptère. Dans le village proche, personne n’a rien vu, rien entendu. Pourtant un jeune garçon prévient la police de manière anonyme. Quand une journaliste indépendante, Julieta Lezama cherche à en savoir plus ni elle ni son ami, le procureur d’origine indienne Edilson Jutsiñamuy ne trouvent la moindre trace officielle de «l’incident». Accompagnée par Johana, son assistante, Julieta se rend sur place, dans la région du Cauca. Après des années d’horreurs, la paix est revenue. On ne parle plus des FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) ni des paramilitaires. Les nouveaux conquérants de la zone sont les Églises évangéliques. L’argent qu’elles peuvent tirer de la nouvelle situation, de la paix à construire, les a attirées. 

Or la paix nouvelle est toute relative et il se pourrait bien que ces nouvelles Églises ne soient pas totalement extérieures à ces troubles sur lesquels enquêtent Julieta et Jutsiñamuy. Entre deux ou trois drôles de coïncidences et le charme troublant du chef d’une de ces Églises, Julieta lutte pour s’accrocher à une réalité qui lui échappe. Le recours aux mignonnettes de gin l’aide-t-il ou augmente-t-il le déséquilibre qui la menace et dont elle est consciente ? 

Une vague de disparitions dans la région concerne toutes des agents de sécurité. Il faut croire qu’il se passe des choses étranges, si même ceux-là, qui sont censés assurer la sécurité, deviennent des victimes ! La double enquête qui s’en suit, celle officielle du procureur et celle personnelle de la journaliste, s’oriente vers les ressources de cette Église pentecôtiste. Église qui, de toute évidence, n’est pas dans la misère. En Guyane, en France donc, les mines d’or plus ou moins légales sont attirantes… 

Santiago Gamboa parvient à réconcilier ces extrêmes. Il montre que ce qui semble irréconciliable (la soif de l’or et Dieu) peut ne faire qu’un. Il serait capable de rendre sympathiques un orpailleur illégal et un de ces pasteurs évangéliques qui sont en train de conquérir un continent entier. Une bonne dose de religion(s), une base de polar, une pincée de violence et la mafia à volonté, sans oublier suffisamment de sentiment, d’amitié, de confiance et d’empathie pour lier l’ensemble, cela donne ce savoureux cocktail littéraire. Santiago Gamboa est très fort pour les mélanges équilibrés. À la fin de la lecture, il reste un petit goût amer, loin d’être désagréable. 

Christian ROINAT

Des hommes en noir de Santiago Gamboa, traduit de l’espagnol (Colombie) par François Gaudry, éd. Métailié, 368 p., 21 €.  

Santiago Gamboa est une des voix les plus puissantes et originales de la littérature colombienne. Né en 1965, il étudie la littérature à l’université de Bogotá, la philologie hispanique à Madrid, et la littérature cubaine à La Sorbonne. Journaliste au service de langue espagnole de rfi, correspondant à Paris du quotidien colombien El Tiempo, il fait aussi de nombreux reportages à travers le monde pour des grands journaux latino-américains. Sur les conseils de García Márquez qui l’incite à écrire davantage, il devient diplomate au sein de la délégation colombienne à l’unesco, puis consul à New Delhi. Il vit ensuite un temps à Rome. Après presque trente ans d’exil, en 2014, il revient en Colombie, à Cali, prend part au processus de paix entre les farc et le gouvernement, et devient un redoutable chroniqueur pour El Espectador.