« Milagro Sala, l’étincelle d’un peuple » : une enquête signée Alicia Dujovne Ortiz

Milagro Sala, la prisonnière politique la plus célèbre d’Argentine, est enfermée de façon arbitraire depuis 2015. L’émotion au niveau international est très grande. Amnesty international, l’ONU, la Commission interaméricaine des droits de l’homme ont réagi. Un peu comme Elena Poniatowska au Mexique, elle aussi romancière et femme engagée, Alicia Dujovne Ortiz, romancière argentine qui réside en France, 78 ans, a décidé au printemps dernier d’aller voir par elle-même ce qui en est.

Photo : éd. des femmes ­– Antoinette Fouque

Milagro Sala, une sorte de sainte Thérèse d’Avila, qui n’hésitait pas à jouer elle-même de la truelle avec ses sœurs religieuses pour leur construire un couvent, est l’activité en personne, elle ne tient pas en place : elle veut que tout avance très vite et sa volonté s’impose à tous, de ses camarades de lutte jusqu’au président Kirchner. Femme politiquement engagée, elle a une obsession : aider les démunis et les jeunes en danger à émerger autant que possible de leur misère quotidienne. Dans la région de Jujuy, les Indiens sont pauvres et les pauvres sont indiens (indigènes, dit-on là-bas, un mot connoté négativement en France qui est au contraire le mot politiquement correct en Argentine), la cause indienne s’avère naturellement politique. Une des forces de Milagro Sala, outre sa vitalité, est d’avoir assimilé ces deux aspects de sa lutte sans en privilégier un.

On commence, dans un quartier défavorisé, par nettoyer un terrain vague, on y sert chaque jour un peu de riz au lait, aidé par quelques jeunes délinquants inoccupés, et on finit par construire avec eux sinon une ville, du moins un quartier entier. Devant de telles réalisations, la haine qui se manifeste contre la « meneuse » ne peut s’expliquer que par le racisme envers les Indiens. L’information locale, verrouillée par les autorités locales, rien que des Blancs aisés, n’aide en rien à montrer la réalité, bien au contraire, elle la déforme avec cynisme. En suivant Alicia, on fait connaissance avec les différents interlocuteurs qu’elle va rencontrer chez eux ou sur leur lieu d’activité, et découvrir, avec des surprises et beaucoup d’émotions, comment s’est tissée l’histoire modeste et imposante de Milagro Sala, de son groupe et de ses réalisations.

Même si un Français reste perplexe devant les nuances, incompréhensibles pour nous, du péronisme et devant celles parfois obscures de la spiritualité indienne, il a accès à ces jeux politiques et religieux grâce au naturel du style d’Alicia Dujovne Ortiz, parfaite dans son rôle de passeuse. D’ailleurs la traductrice a bien su éclairer un public français par ses notes claires et complètes.

Ce n’est pas une hagiographie qui nous est proposée, l’enquêtrice donne la parole aux sceptiques et aux opposants, et elle a raison : on a vraiment l’impression à la fin de connaître personnellement Milagro, avec son autoritarisme probablement inévitable dans sa situation, qui contrebalance son énergie intarissable. Souvent l’auteure compare Milagro à Eva Perón : un même goût de partager, un même amour du pouvoir, une même générosité, un même besoin d’être reconnue, une même énergie.

Qu’est-ce qu’un écrivain engagé ? Il y a le genre primaire, plutôt brut et souvent efficace. Il y a le genre plus subtil, qui prend le temps d’analyser sans mettre de côté ses convictions. Alicia Dujovne Ortiz est de ceux-là : ce qu’elle montre est concret, prosaïque, pourrait-on penser au premier abord, mais elle y ajoute la distance, la hauteur, l’honnêteté, qui font qu’on ne peut qu’être convaincus.

Christian ROINAT

Milagro Sala, l’étincelle d’un peuple de Alicia Dujovne Ortiz, traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne-Charlotte Chasset, préface de Adolfo Pérez Esquivel, éd. des femmes ­– Antoinette Fouque, 270 p., 12 €.