La police argentine abat dans le dos un jeune Mapuche en Patagonie

Après la disparition pendant 78 jours de Santiago Maldonado, retrouvé noyé dans le río Chubut, la police argentine est de nouveau accusée de la mort de Rafael Nahuel, un manifestant mapuche. Les policiers seraient-ils à présent autorisés à se soustraire aux ordres des juges ? À cela le gouvernement répond par des déclarations surprenantes… Retour sur l’invention d’un ennemi intérieur.

Photo : La Tinta

Récupérer des terres ancestrales

Depuis plusieurs dizaines d’années, les Mapuches de la Patagonie argentine, tout comme leurs cousins chiliens, luttent pour récupérer des terres ancestrales qu’ils accusent l’État et les grands propriétaires terriens d’avoir usurpées. Leurs moyens de lutte se traduisent par l’occupation des terres revendiquées. La loi [1] est en partie de leur côté : depuis 2015, les forces de l’ordre ont l’interdiction de pénétrer dans les zones revendiquées jusqu’à ce que les titres de propriété soient bien établis par relevés cadastraux. Fin octobre dernier, la communauté mapuche Lof Lafken Winkul Mapu occupe un flanc de montagne près du Lago Mascardi, qu’elle estime sienne de par son droit ancestral, garanti par la Constitution. Le 25 novembre, le juge Gustavo Villanueva ordonne l’évacuation des Mapuches pour « usurpation de terres » et envoie la police fédérale pour les déloger. L’opération est effectuée par le groupe d’élite Albatros. À 5 h du matin, ce groupe de près de 200 policiers attaque la communauté et arrête plusieurs personnes : des hommes, des femmes et des enfants en très bas âge sont détenus durant des heures.

La police fédérale attaque

En fin d’après-midi, le groupe Albatros commence à rechercher les Mapuches qui s’étaient réfugiés dans la montagne. Pablo Curlo, un opérateur touristique qui passait sur la route nationale N40, bloquée par la police, raconte : « Les policiers, genoux à terre sur la route, tiraient vers le haut avec des fusils. J’entendais des cris sur la colline. Des gens criaient : « Ne tirez plus, il y a des femmes et des enfants ici »… J’ai ensuite vu des hommes descendre en portant un blessé. Ils ont été violemment arrêtés et menottés par les policiers. Je suppose que le blessé était Rafael Nahuel… »

La mort de Rafita

Les policiers affirment qu’ils n’ont fait que riposter à des tirs de gros calibre provenant des Mapuches. Néanmoins, la véracité de leurs propos est remise en cause par les faits : Rafael Nahuel, dit Rafita, a été atteint par une balle de 9 mm qui est entrée par la fesse gauche, a traversé les intestins et le foie pour terminer dans les poumons. Il est mort d’une hémorragie interne. Il attaquait sans doute les policiers à reculons ! Deux autres personnes sont également blessées : Johana Colhuan, au coude, et Gonzalo Coña, à l’épaule. Les deux hommes qui ont transporté Rafael Nahuel jusqu’à la route sont Fausto Jones Huala et Lautaro González. Les policiers les ont laissés menottés au sol aux côtés du corps de Nahuel, décédé lors de la descente de la colline. Après des heures de détention injustifiée, le juge a bien dû les relâcher, n’ayant trouvé de dépôt de poudre sur leurs mains, ni d’ailleurs aucune forme d’arme sur la colline qu’ils occupaient. Témoins d’un homicide, les deux hommes sont pourtant accusés d’« occupation illégale de terre » !

Joe Lewis, l’ami du président Macri, n’a pas tous ces ennuis !

Des associations de la région de Bariloche dénoncent depuis plusieurs années « l’annexion » de 12 000 ha de terres, incluant le Lago Escondido à l’intérieur d’un Parc National, par l’homme d’affaires britannique Joseph « Joe » Lewis. Il a bloqué la route d’accès au public et considère le lac comme sa propriété. Il n’a jamais été inquiété par les policiers. Normal, c’est le copain du président Mauricio Macri, qui s’offre régulièrement quelques jours de repos dans sa demeure de 3 600 m2. Que sont quelques Indiens mapuches devant le 300e homme le plus riche du monde (selon la revue Forbes) ?

Les sinistres déclarations officielles

Lorsqu’un journaliste demande à la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, s’il y a des preuves que les Mapuches possédaient des armes lourdes, elle répond : « Ces preuves ne sont pas nécessaires. Nous n’avons pas à prouver ce que font les forces de sécurité. Nous donnons à la version des policiers le caractère de seule vérité. » La vice-présidente de la République, Gabriela Michetti, instaure une nouvelle doctrine : « Tout bénéfice du doute sera toujours en faveur des forces de sécurité ». Et de faire pression sur le juge Villanueva pour lui indiquer par où il devait mener son enquête. Patricia Bullrich : « Nous avons confiance que l’enquête du juge démontrera que les protocoles en cas d’affrontement armé ont été respectés ». Qu’il n’y ait pas eu d’affrontement armé n’est pas un problème, on en inventera un…

Création d’un ennemi interne

Pour le gouvernement, les Mapuches se sont tous joints à la RAM, Resistencia Ancestral Mapuche, « une organisation terroriste qui cherche l’indépendance de la nation mapuche et sa séparation de l’Argentine, ce qui est un crime ». Le problème, c’est que personne n’a jamais vu ni entendu cette RAM, pas même Juan José Chaparro, l’évêque de Bariloche, qui nie toute appartenance des Mapuches de son diocèse à cette organisation. Plusieurs observateurs estiment que la RAM est une invention du gouvernement pour réprimer les communautés mapuches, une longue pratique des autorités argentines.

Pas de dialogue, la confrontation

Telle semble être la position du gouvernement. Alors que le juge Villanueva veut entamer un dialogue avec les Mapuches pour qu’ils puissent retourner sur le lieu de l’affrontement afin de trouver des indices ou des preuves de ce qu’il s’y est passé, le gouvernement le désavoue ! Le chef de cabinet du président Macri, Marcos Peña, déclare « qu’il n’est pas d’accord (disconforme) avec le juge » concernant sa volonté de négocier son entrée sur les terres mapuches qui, par la loi, sont considérées comme propriété privée. De son côté, le Secrétariat aux Droits humains refuse de participer à une table de discussion. Finalement, le ministère de la Sécurité vient d’émettre une résolution « qui permet aux forces fédérales d’ignorer les ordres d’un juge si elles considèrent ces ordres illégaux » ! Des policiers vont pouvoir décider que l’ordre d’un juge est illégal… Du jamais vu en droit ! À quand les prochains morts ?

Jac FORTON

[1] La Loi 26 160 « suspend les opérations d’expulsion de terres habitées par des communautés indigènes jusqu’à ce que l’Institut national des Affaires indigènes termine le relevé cadastral », l’article 33 de la Constitution, la Déclaration américaine des droits des peuples indigènes et Convention 169 de l’Organisation internationale du Travail.