Selon une enquête du journal « The Guardian », Berta Caceres aurait été assassinée par un escadron de la mort militaire

Un an après l’assassinat de la dirigeante indigène Berta Caceres, des documents « fuités » de la justice indiqueraient que le meurtre serait une exécution extrajudiciaire mise sur pied par des spécialistes du renseignement hondurien formés aux États-Unis, pour éliminer l’opposition des indigènes à la construction d’un barrage.

Qui était Berta Caceres ?   Indigène Lenca, grande défenseure des Indiens, des petits paysans, des femmes et de l’environnement, elle était co-fondatrice du COPINH (Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras). Surtout, elle  organisait des campagnes d’opposition au barrage Agua Zarca sur la rivière Gualcarque et au système économique basé sur l’extractivisme. Ce projet de quatre barrages mené par l’entreprise chinoise Sinohydro en coopération avec la hondurienne DESA (Desarrollos Energéticos S.A.) et financé par la Banque mondiale mettait en danger l’approvisionnement en eau et la survie des communautés lencas de la région qui n’ont jamais été consultées.  Suite à ces campagnes, Sinohydro et la Banque mondiale avaient  retiré leur  soutien financier et logistique au projet en 2013. Pour son action de défense de l’environnement, Berta avait reçu le Prix Goldman de l’Environnement, considéré comme le « Nobel vert ». Pour son action, elle avait aussi été menacée de mort plus de 30 fois.

Tuée dans un espace « protégé ».   Suite à ces menaces, Berta Caceres avait déménagé dans une maison utilisée par le COPINH dans un quartier résidentiel fermé, c’est-à-dire entouré de barrières et dont les entrées étaient contrôlées par des policiers armés. Bizarrement, le 2 mars 2016, il n’y a personne au portail d’entrée du quartier. Un peu avant minuit, quatre hommes entrent de force dans l’appartement, tirent sur Berta et Gustavo Castro, coordinateur de l’association Amis de la terre du Mexique, tuant la première et blessant le second. Au début, les enquêteurs ont suggéré qu’il s’agissait d’un vol, puis d’un amant éconduit, puis d’un collègue fâché avec elle. Ils ont ainsi longuement interrogé le survivant Gustavo Castro mais aussi les membres du COPINH Tomás Gómez et Auriliano Molina qu’ils durent finalement relâcher. Devant les réactions indignées nationales et internationales, la police a finalement arrêté huit personnes. L’enquête du Guardian révèle que sur les huit personnes accusées du meurtre, trois sont des militaires liés aux services de Renseignements honduriens formés aux États-Unis. Les principaux suspects sont le major Mariano Diaz, un vétéran des forces spéciales qui avait été nommé Chef du renseignement militaire en 2015 ; le lieutenant Geovanny Bustillo, entré dans l’armée en même temps que Diaz, et le sergent Javier Hernández, un ancien tireur d’élite qui a travaillé sous les ordres de Diaz avant de prendre sa retraite en 2013.

Des « unités spéciales » ou des escadrons de la mort ?   Publiée dans son édition en ligne (1), cette enquête du Guardian contient une interview de l’ancien sergent Rodrigo Cruz qui affirme que le meurtre a été commis par une unité hondurienne entrainée par les Forces spéciales états-uniennes. Craignant maintenant pour sa vie, Cruz est entré en clandestinité. Suite aux révélations du Guardian, James Nealson, ambassadeur US au Honduras a déclaré qu’il demanderait une enquête. Cette unité spéciale avait été créée pour lutter contre le terrorisme, le crime organisé et les gangs mais les défenseurs des droits humains dénoncent l’utilisation des services secrets pour attaquer les dirigeants de l’opposition, en particulier ceux qui défendent le droit des indigènes et l’environnement.

Des « services » formés aux États-Unis.   On sait que le major Mariano Diaz a suivi des stages de contrespionnage au Honduras et à Fort Benning en 1997 et un cours de contre-terrorisme à l’Académie interaméricaine de l’armée de l’air aux États-Unis en 2005. Et qu’en 1997,  le lieutenant Bustillo était à l’École des Amériques en Géorgie, connue pour avoir formé des milliers de militaires latino-américains qui ont ensuite commis des crimes contre l’humanité durant les dictatures militaires de leurs pays respectifs.

Cinq civils détenus pour complicité mais qui sont les donneurs d’ordre ?   Les cinq autres suspects sont  Edilson Duarte, ancien capitaine de l’armée, son frère Emerson Duarte, qui aurait tiré les coups mortels contre la victime, Elvin Rapalo et Oscar Torres, qui auraient blessé Gustavo Castro et Sergio Rodríguez. Mais si la police hondurienne a bien capturé les tireurs et les organisateurs  du meurtre, on ignore toujours qui sont les auteurs intellectuels de ce crime, les commanditaires…

Berta, un avertissement pour les activistes ?   COPINH et les autres organisations sociales du Honduras pensent que l’assassinat de Berta Caceres est un avertissement : voilà ce qui vous attend si vous continuez à vous opposer aux grands barrages. .. Moins d’un mois plus tard, Nelson García, militant de l’environnement membre du COPINH, était assassiné à Rio Chiquito après avoir participé à une manifestation s’opposant à l’expulsion forcée de 150 familles paysannes par des agents de l’État. Deux mois plus tard, c’est Lesbia Urquia qui était tuée… Depuis le coup d’État de 2009 contre le président Manuel Zelaya, 129 activistes des droits humains ou de défense de l’environnement ont été assassinés au Honduras.

Jac FORTON

(1) Voir les éditions du Guardian des 26 avril 2016,  2 et 28 février 2017.