Leon XIV, nouvelle voie latino-américaine vers le seigneur ?

Ce pontife, en tous les cas, pas de doute à ce sujet, est polyglotte. Il parle latin, anglais, espagnol, italien, français et portugais. Ses parents sont d’ascendance espagnole, française et italienne. Son patronyme est français, Prévost. S’il est étatsunien, il dispose aussi d’une carte d’identité péruvienne. Sa carrière, si tant est que le mot soit pertinent s’agissant d’un ecclésiastique, s’est déroulée pour l’essentiel au Pérou, mais aussi à Chicago et au Saint-Siège. Ce profil d’insaisissable lui a permis dit-on a posteriori de bénéficier du doute des cardinaux électeurs du nord comme du sud de l’hémisphère occidental. 

Les chefs d’État d’Amérique du Nord, du Sud et d’ailleurs, quelle que soit leur couleur politique se sont fendus, eux aussi, de messages de félicitations ne mangeant pas de pain.  Félicitations précédées, pour la Maison Blanche, d’une photo-montage inhabituelle en ces circonstances, de Donald Trump en Pape. Suivie, Casa Rosada, en Argentine, d’une image de Léon XIV, atout aussi insolite, au visage de lion, symbole libertarien de Javier Milei. Les bonnes manières internationales il est vrai se perdent, depuis les invasions de l’Ukraine, de Gaza, du Liban, de la Syrie, de Kivu, et des menaces d’annexion du Groenland.

Qui vivra, verra sans doute ce qu’il faut penser de Léon XIV, en Amérique latine. Mais dans l’attente, qu’en dire ? Peut-on comme certains le font, le mettre sur l’orbite de Jorge Maria Bergoglio, François Ier, Pape incontestablement argentin, et latino-américain, s’exprimant quasi exclusivement en espagnol ? Une première évaluation plaide en faveur d’une possible sinon probable continuité. Son nom renvoie au premier souverain pontife, Léon XIII, ayant eu des préoccupations sociales. Le nouveau pape, certes, s’est exprimé en italien, pour remercier ceux venus en nombre saluer son élection, place Saint-Pierre.

Mais il a aussi adressé un message en espagnol à ses amis de l’évêché péruvien de Chiclayo, dont il a eu la charge de 2014 à 2023. :«  Un saludo a todos aquellos, en modo particular, a mi querida Diócesis de Chiclayo, en el Perú, donde un pueblo fiel ha accompañado a su obispo, ha compartido su fe y ha dado tanto para seguir siendo Iglesia fiel de Jesuscristo », (Un grand bonjour à tous, et plus particulièrement, à mon cher Diocèse de Chiclayo, au Pérou, où un peuple fidèle est resté au côté de son évêque, partageant sa foi, en ne ménageant rien pour demeurer une église fidèle à Jésus Christ).

Il a de 2018 à 2023, été deuxième vice-président de la Conférence épiscopale du Pérou (CEP). Par ailleurs, José Luis Pérez Guadalupe, a publiquement rappelé, que ministre de l’intérieur péruvien, en 2015, il avait eu « l’honneur de signer personnellement son acte de naturalisation ». « Le Pape est péruvien, Dieu aime le Pérou », en a conclu la présidente Dina Boluarte. Son élection, a-t-elle ajouté, « est un moment historique pour le Pérou et le monde ». De façon plus triviale, un pèlerin péruvien, présent à Rome, a « confessé » que « pour nous, c’est comme si nous avions gagné une coupe du monde [1]». Il convient enfin de noter qu’il était dans les petits papiers du pape Francisco. Après l’avoir nommé évêque au Pérou, François l’avait appelé à Rome, prendre la direction d’un poste clef, le « ministère » (Dicastère) chargé des évêchés du monde, et celle de la Commission pontificale pour l’Amérique latine.

Pour en savoir plus, d’ici quelques mois, il conviendra de mettre en regard ses actes avec l’état des lieux laissé par son prédécesseur. Le pape François a consacré une part notable de ses préoccupations et de ses voyages à l’Amérique latine. Ses prédécesseurs avaient brisé les théologues de la libération. Il a réhabilité en 2019, l’une de ses figures, le nicaraguayen Ernesto Cardinal, suspendu de sacrements par Jean-Paul II en 1984. Il a en 2022, dénoncé « les impérialismes qui exploitent l’Amérique latine [2]». Il a consacré à l’environnement et à la défense de l’Amazonie une encyclique, et un synode,

Le Brésil a été le premier pays qu’il a visité en 2013. Il s’est ensuite rendu en 2015, en Équateur, en Bolivie, et au Paraguay, puis à Cuba et aux États-Unis, en 2016, au Mexique, en 2017, en Colombie, en 2018, au Chili et au Pérou, en 2019 à Panamá. Ces déplacements ont été tout à la fois apostoliques et diplomatiques. Avec l’aide et les compétences de son Secrétaire d’État, Pietro Parolin, il a tenté et parfois réussi à démêler les relations heurtées des Etats-Unis avec Cuba et le Venezuela.

On doit au Saint-Siège une part du rétablissement des relations diplomatiques entre Washington et la Havane. Le président colombien, Juan Manuel Santos, a reconnu que l’accord de 2016 signé entre son gouvernement et les FARC, (Forces Armées révolutionnaires de Colombie), était redevable aussi aux efforts de la diplomatie vaticane. Plus récemment et jusqu’à la veille de sa mort, il a bataillé avec la Maison Blanche, pour faire respecter les droits des migrants expulsés ou refoulés. 

François avait pris conscience au cours de son voyage au Chili en 2018, de la nécessité d’un grand ménage mettant fin aux abus sexuels commis par des prêtres. Il avait cette année-là forcée à la démission la totalité des évêques chiliens, 34, accusés d’avoir couvert des délits sur des mineurs. Sept prélats avaient ensuite présenté leur démission, 14 religieux avaient par ailleurs été suspendus. Deux évêques avaient perdu leurs fonctions sacerdotales, ainsi que deux prêtres. 

En janvier 2019. Il s’est attaqué pour les mêmes raisons aux dérives des légionnaires du Christ au Mexique. Il a pris la décision en janvier 2025 de suspendre le groupe chrétien péruvien d’extrême-droite, Sodalicio de Vida Cristiana, pour des motifs voisine. Il avait auparavant en 2019 contraint le cardinal archevêque de Lima, Juan Luis Cipriani, accusé de pédophilie, à quitter le Pérou. Cet interdit lui a été rappelé en janvier 2025, après un retour à Lima à l’invitation du maire d’extrême-droite, Rafael Lopez Aliaga.

Tout cela est sur l’autel légué par François à son successeur et ami. Léon a assumé un bout d’héritage, en choisissant de prendre Léon comme nom de Pape. Mais des rumeurs signalent son indulgence à Chicago comme à Chiclayo sur des abus qu’il aurait dû dénoncer. Il a par ailleurs remis au goût du jour une étiquette vaticane abandonnée en 2013. Il est vrai, comme indiqué plus haut, que l’élection de Robert Francis Prévost est le résultat de paris contradictoires faits par les secteurs opposés de la Curie.