Le 22 mai prochain, le chanteur colombien J. Balvin de son véritable patronyme José Alvaro Osorio Balvin, naît à Medellin en Colombie le 7 mai 1985, il sera à Paris, à l’Accor Arena. Le mois d’après, c’est au tour d’une autre colombienne, Karol G, de son vrai nom Carolina Giraldo Navarro, née le 14 février 1991 à Medellín, de remplir cette même salle pour deux nuits cette fois, les 22 et 23 juin. Une salle colossale pour des stars de la musique latine, devenues globales. Et ils sont loin d’être des cas isolés.
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“Des…pa…cito”. À la base, cette chanson de Luis Fonsi ne devait être qu’un simple tube de l’été. Cela peut prêter à sourire mais Despacito a été le déclenchement d’une véritable réorganisation de la scène musicale mainstream. Depuis cette chanson, qui a résonné partout sur la planète, la musique et les artistes d’Amérique latine sont omniprésents, globaux. Ils sont devenus la nouvelle norme. En 2023, six chanteurs d’Amérique latine se classaient dans le top 25 des artistes les plus écoutés sur Spotify. Pas seulement dans les pays de la région. Pas seulement aux États-Unis où l’audience latino représente désormais 20 % de la population. Dans le monde. Aujourd’hui, ces artistes – Bad Bunny, Karol G, Peso Pluma – remplissent des stades partout sur la planète.
Pourtant, la musique d’Amérique latine est présente depuis longtemps dans la culture populaire. À partir des années 70, suite aux manifestations de populations latinos de New York, les Grammy Awards créent une catégorie nommée “Latin Music”. Dans les années 90, l’institution crée même une cérémonie à part, les Latin Grammys, où tous les genres musicaux du continent sont enfin célébrés. C’était l’apogée de la musique tejana, un style populaire mélangeant les influences mexicaines et US, avec la chanteuse Selena en tête de gondole.
À la fin des années 90/début des années 2000, les artistes d’Amérique latine qui s’imposent aux États-Unis font enfin leur apparition dans le grand monde de la pop. La musique à consommation rapide, qui fait bouger les foules. C’est l’âge d’or des Jennifer Lopez, Ricky Martin ou encore Enrique Iglesias. Mais ceux-ci doivent tous se plier à la même règle pour triompher sur le marché US : chanter en anglais et s’adapter aux sonorités pop déjà établies. Shakira ira même jusqu’à se teindre en blonde, cachant toute trace de son physique colombien pour son premier album en anglais, Laundry Service.
Despacito, un cas d’école
Il faudra attendre 2017 et le phénomène Despacito pour que s’alignent les planètes de la latin music. Le clip de cette chanson détient le record de vues sur Youtube (8,5 milliards au moment de la rédaction de cet article) et est un condensé de la mutation qui s’est imposée pour la musique en espagnol. Tout d’abord, un rythme extrêmement simple, accrocheur et universel. La fusion de la pop et du reggaeton avec aux commandes le cultissime Daddy Yankee. Le duo entre Fonsi et l’artiste portoricain est en lui-même significatif. Les titres latinos qui cartonnent à l’heure actuelle sont presque toujours des collaborations entre plusieurs artistes. À l’ère du streaming, rassembler les audiences de deux chanteurs permet de doubler les écoutes. Ensuite, le succès du clip sur Youtube. L’audience latino consomme la musique sur les plateformes de streaming mais aussi en vidéo. En 2023, sept des dix vidéos musicales les plus vues dans le monde sont des chansons en espagnol. Une langue qui s’impose petit à petit comme une langue globale. Depuis Despacito, les artistes latinos ne sont plus obligés de traduire leur texte pour remplir des salles aux États-Unis.
Le marché US reste néanmoins le tremplin nécessaire pour pouvoir s’imposer mondialement. Et dans ce pays, les chiffres sont hallucinants. Selon des données de la RIAA (Recording Industry Association of America), entre 2019 et 2023, la part de la latin music dans le revenu global de l’industrie américaine est passée de 5 à 7,9 %, détrônant la musique country. En 2023, cela représente un marché de 1,4 milliards de dollars. 98 % de ces revenus sont issus des plateformes de streaming. Principalement Spotify mais aussi 336 millions qui proviennent de Youtube. La musique latine est un genre qu’il faut désormais choyer. En mai 2023, le CEO de Spotify, Daniel Ek, fêtait le succès de ces artistes qui “entraient dans l’histoire de la musique”.
Miami Sound Machine
Cette nouvelle page de la musique mainstream s’écrit à Miami, la Mecque de la latin music. C’est là que se retrouvent les artistes, les producteurs du genre mais aussi l’environnement médiatique. Les trois géants – Sony, Universal et Warner – ont tous leur siège à Miami. C’est sur les rives de la Floride que fusionnent les styles latins avec la patte, le son US. Ce microcosme permet une professionnalisation du genre et une plus grande exigence dans la production. Une diversification des styles aussi. Il est intéressant de constater qu’après des années d’hégémonie du reggaeton, la nouvelle tendance lourde est celle du régional mexicain avec des chanteurs comme Peso Pluma ou des groupes comme Grupo Frontera.
Il s’agit d’un véritable grand écart. On passe des rythmes synthétiques, des paroles suggestives et des voix autotunées du reggaeton à l’extrême opposé pour le régional mexicain avec une intensité du propos amoureux, des voix puissantes et une base instrumentale foisonnante, composée de guitares, tubas et trombones. Le genre cartonne aux États-Unis. Il y a quelques mois, Peso Pluma chantait même au late show de Jimmy Fallon, qui accueille désormais tous les artistes latinos à la mode. Alors que le style était jugé vieillot il y a encore quelques années, il connaît un renouveau, notamment grâce à une communauté latino aux États-Unis fière de ses origines et chaque fois plus intégrée à la communauté nationale.
La preuve ultime de cette intégration de la latin music à la culture populaire américaine eut lieu en février 2020. Lors de la mi-temps de la finale du Superbowl, l’évènement sportif de l’année, quatre latinos – Shakira, Jennifer Lopez, Bad Bunny et J. Balvin – feront danser l’Amérique profonde. Alors qu’avant, ceux-ci devaient chanter en anglais, c’est maintenant les chanteurs anglophones qui veulent leur part de ce juteux marché et se mettent à l’espagnol. Nicky Minaj, Drake, Justin Bieber, Cardi B, les Black Eyed Peas… tous ont récemment collaboré avec des artistes de la nouvelle vague latino.
Un succès planétaire
Affranchis des barrières liées à la langue, à l’accès et aux idées reçues, les artistes d’Amérique latine dévorent la planète. L’avènement du streaming leur aura permis de toucher de nouveaux publics. La force de frappe des artistes reggaeton percole sur l’ensemble de l’industrie, tous genres confondus. Les collaborations à gogo font découvrir aux auditeurs de nouveaux artistes émergents. L’omniprésence de la langue espagnole familiarise les oreilles, disposées à s’aventurer sur de nouveaux genres. Le mois prochain, à Paris, deux immenses stars pop feront danser l’Accor Arena. Mais il y a quelques mois, c’était la mexicaine Natalia Lafourcade qui chantait à l’Olympia, et en octobre c’est au tour de l’uruguayen Jorge Drexler de passer par le Bataclan. Des artistes moins commerciaux qui remplissent désormais de grandes salles parisiennes. Des concerts qui, à la fois, rassemblent une diaspora latina présente partout sur la planète et identifiable grâce aux plateformes de streaming mais aussi un public globalisé de curieux qui ne cantonne plus la langue espagnole aux traditionnels tubes de l’été.
Pour Tomas Cookman, fondateur de Nacional Records, la maison de disques d’artistes mythiques tels que Manu Chao, Aterciopelados, Fabulosos Cadillacs ou encore Ana Tijoux, “la musique latine est là pour rester, comme un phénomène similaire au hip-hop des années 70, qui est né comme une expression de la rue et s’est converti en un pan de la culture populaire”. Avec le reggaeton et Miami comme locomotives, la latin music est sortie de Floride et s’exporte à l’heure actuelle dans tous les styles. Les artistes de cette nouvelle génération sont devenus, en l’espace de quelques années, des emblèmes de la culture mainstream : ils montent désormais les marches du MET Gala, font la Une de Vogue, chantent à Coachella. Et remplissent des salles de 20 000 personnes à Paris.
Romain DROOG