L’écrivaine mexicaine Cristina Rivera Garza, prix Pulitzer 2024

Cristina Rivera Garza, a remporté ce lundi 6 mai le prix Pulitzer de littérature dans la catégorie Mémoires et autobiographies. Un prix qui vient récompenser son roman L’invincible été de Liliana, dans lequel elle raconte sa sœur et le féminicide dont elle a été victime à Mexico, en 1990. Retour sur un prix prestigieux, mal connu en Europe, et son nouveau récipiendaire.

Photo : Editions Reina

La première vague de prix Pulitzer a été décernée il y a plus d’un siècle, en 1917. C’est le journaliste et magnat de la presse états-unien Joseph Pulitzer qui en est à l’initiative. Né en 1847 en Hongrie, Joseph et sa famille émigre aux États-Unis où le jeune homme fera carrière dans le journalisme et le monde de la presse, en contemporain (et concurrent) de William Randolph Hearst. Précurseur du journalisme d’investigation, il développera aussi ce qu’on appellerait aujourd’hui la presse à scandale, contradiction bien étonnante (et finalement très états-unienne) lorsque l’on pense à la qualité des journalistes, journaux et articles primés en son nom.

À sa création, six ans après la mort de Pulitzer, et selon ses volontés, le prix compte treize catégories : quatre en journalisme, quatre en littérature et une en éducation. La catégorie reine sera celle du journalisme de service public, venant couronner un journal dont une enquête est considérée comme ayant rendue un service public. On pensera tout de suite à la plus célèbre de ces enquêtes, le Watergate, prix Pulitzer 1973 pour le Washington Post, ou encore au Boston Globe pour son travail sur le silence de l’église catholique au sujet des abus sexuel sur mineurs commis par des prêtres. 

Le prix récompensant des médias, auteurs et autrices états-uniennes, il trouve parmi les représentants des différentes diasporas d’éminents vainqueurs. On notera celui d’Art Spiegelman, prix Pulitzer spécial en 1992 pour sa grande œuvre Maus, ou encore ce prix du service pour une équipe de 13 journalistes et photographes du Los Angeles Times, tous d’origine mexicaine, sur la communauté latino du sud de la Californie (consultable ici : https://www.latimes.com/california/latinos )

Marqueur important des thématiques et questionnements sociétaux, le Pulitzer journalisme suit les évolutions de son temps. Comptant aujourd’hui 22 catégories, dont une dédiée au podcast qui a été créé récemment pour mettre en lumière ce support spécifique et en plein essor, il suit chaque branche du journalisme : éditorial, critique, reportage local, national, au long cours… De même, un prix Pulitzer spécial a été décerné à Darnella Frazier, la jeune femme qui a filmé l’arrestation et le meurtre de George Floyd, preuve s’il en est que le jury se montre à l’affût et à l’écoute des mouvements du pays.

Côté littérature, ce sont six catégories qui sont aujourd’hui récompensées : la plus célèbre est la fiction, mais on trouve aussi le théâtre, la poésie, l’essai, la biographie et l’autobiographie. Alors que l’année dernière le prix Pulitzer de la fiction était attribuée ex-aequo à Barbara Kingsolver et à Hernan Díaz, écrivain argentin vivant aux États-Unis, cette année c’est le prix Pulitzer Mémoires et autobiographies qui est remis à la Mexicaine Cristina Rivera Garza pour L’invincible été de Liliana.

Née à Matamoros en 1964, elle étudie l’histoire et la sociologie, d’abord à l’Université nationale de Mexico (UNAM (puis à l’université de Houston. Enseignante, elle écrit depuis longtemps, et le Pulitzer n’est que dernier (et prestigieux) joyau d’une tiare brillant déjà du prix Seghers en 2005, du Premio Sor Juana Inés de la Cruz en 2001 et 2009, du prix Caillois en 2013, du Premio Iberoamericano de Letras en 2021 et du Premio Xavier Vallaurrutia en 2022, entre autres. Créatrice d’une œuvre qui se veut novatrice et originale, et souhaite jouer avec le lecteur, le surprendre et le déranger. Considérant que les lecteurs sont des gens intelligents qui connaissent les rouages littéraires, elle veut se glisser dans ce jeu et déstabiliser, attraper et bousculer.

Dans ce livre, sorti en France en août 2023 (éditions Globe, traduit par Lise Belperron), l’autrice raconte son retour au Mexique pour consulter, vingt-neuf ans après les faits, le dossier d’enquête sur l’assassinat de sa sœur par son ex-petit ami. Elle aimait écrire Liliana, Cristina Rivera Garza dit d’elle qu’elle est la véritable écrivaine de la famille. Elle ressort les carnets, les lettres, les feuilles volantes recouvertes de l’écriture en script précise et sculptée de sa sœur, nous la présente, la fait revivre en essayant de trouver des traces, peut-être de ce qui l’attendait. Liliana parlait-elle du comportement de son futur meurtrier ? Avait-elle l’intuition, la compréhension de ce qui se passait ?

Elle revient non seulement sur la vie de Liliana, à l’époque une jeune femme de vingt ans étudiants en architecture qui projetait de partir étudier à l’étranger et rêvait la suite, arrêtée brutalement par un ex-petit ami qui ne supportait pas de la voir partir ; mais elle parle aussi de cette violence faites aux femmes systémiques au Mexique, de la quotidienneté des féminicides dans le pays et de l’impunité dont bénéficient les meurtriers. À peine digne d’intérêt à l’époque de l’assassinat de Liliana, en 1990, nombreuses sont les autrices à évoquer ce sujet aujourd’hui, et dans toute l’Amérique latine. On notera par exemple le recueil de nouvelles Chiennes de garde de Dahlia de la Cerda, sorti cette année aux éditions du Sous-Sol et La saison des ouragans, de Fernanda Melchor pour le Mexique, ou la dure et brillante enquête de l’Argentine Selva Almada, Les jeunes mortes

En faisant œuvre de cette partie brutale de sa vie, Cristina Rivera Garza montre les mécanismes qui sont en place dans toute une société qui refuse de regarder en face la manière dont sont considérées les femmes et rend à Liliana la vérité de sa mort, de son meurtre, mais aussi de son être. « Nous nous confondons. Nos pieds s’inscrivent dans d’autres empreintes invisibles. Les empreintes s’entrouvrent pour accueillir nos pieds. Nous sommes les femmes du passé, les femmes du futur, et aussi d’autres femmes, en même temps. D’autres femmes, et celles que nous avons toujours été. Des femmes en quête de justice. Des femmes épuisées, et unies. À bout, mais avec une patience qui se compte en siècles. Et enragées à jamais. »