Le président argentin Javier Milei ferme l’agence de presse Télam, qu’il accuse de « propagande »

Les employés de la principale agence de presse d’Argentine dénoncent « une des pires atteintes contre la liberté d’expression de ces quarante dernières années de démocratie ». Nous publions ici des larges extraits d’après un article du journal Le Monde de cette semaine.

Photo : Télam

Cela faisait une semaine que les 700 employés et correspondants de l’agence de presse argentine Télam, fermée depuis le 4 mars, attendaient de connaître leur sort. Dimanche 10 mars au soir, par courrier électronique, le gouvernement a prolongé de sept jours la suspension de l’activité de l’agence et a ouvert un plan de départs volontaires à l’ensemble de son personnel. Une proposition rejetée en bloc par le Syndicat de la presse de Buenos Aires et par les salariés réunis en assemblée générale. Cette mesure marque le début de la mise en œuvre d’une des promesses de campagne du président argentin ultralibéral Javier Milei, officialisée le 1er mars, dans son discours d’ouverture des séances parlementaires. Devant les députés, le chef de l’État d’extrême droite avait annoncé la « fermeture de Télam, qui a fonctionné pendant des années comme une agence de propagande kirchnériste », une référence au mouvement politique de l’ex-présidente de centre gauche Cristina Fernandez de Kirchner (2007-2015), son ennemie jurée.

« On savait que cela allait arriver, mais au début, on a pensé à un autre effet d’annonce du gouvernement, à une nouvelle provocation », assure, encore abasourdie, une employée de Télam – les personnes sans protection syndicale préfèrent conserver l’anonymat. « Quand on a reçu le mail nous dispensant de nos activités, à 1 h 32 [dans la nuit du dimanche 3 au lundi 4 mars], on a immédiatement eu peur qu’ils ne vident l’agence », ajoute-t-elle. La missive, signée par l’auditeur financier désigné pour contrôler tous les médias publics, Diego Chaher, est lapidaire : « Il est notifié par la présente que tout le personnel de Télam se trouve dispensé de son devoir professionnel avec maintien de sa rémunération pour sept jours à compter de dimanche 3 mars à 23 h 59. » Dans la foulée, en pleine nuit, les forces de l’ordre venaient barricader les bâtiments de l’agence pour en interdire l’accès à ses employés.

Télam « a ses lacunes, qui doivent être corrigées, comme ses biais partisans. Mais cela ne justifie pas la fermeture d’une agence, assure le sociologue Alejandro Linares, auteur de Médias publics en Argentine (UNGS, 2023, non traduit). Il existe de nombreux modèles à suivre pour la doter d’un plus grand pluralisme et d’une plus grande indépendance ». Créée en 1945, Télam est la première agence de presse d’Amérique latine et la deuxième en langue castillane, après l’espagnole EFE. Les dépêches, photos et vidéos produites par l’agence, qui compte quelque 800 clients, alimentent les médias de tout le pays et au-delà, assurant une couverture de la quasi-totalité du territoire argentin. Télam dispose aussi d’une formidable base d’archives documentant notamment les époques les plus sombres de l’histoire du pays. Cible de plusieurs gouvernements, l’agence a jusqu’à présent résisté à toutes les tentatives de fermeture, à l’exception de la période 1953-1968, où elle a été fermée par les militaires, qui considéraient qu’elle diffusait « des informations fausses et tendancieuses »….