Croisade anti-corruption au Venezuela : les arrêtés risquent jusqu’à trente ans de prison

Qualifiée de purge politique par l’opposition, une enquête sur des détournements de fonds a touchée plusieurs hauts cadres notamment de l’administration de Pétrole de Venezuela, la grande entreprisse pétrolière d’État. La démission de Tareck El-Aissami, super ministre du pétrole, est censée “accompagner et appuyer pleinement ce processus”.

Photo :  Caretas

Le président Nicolás Maduro a lancé « Allons jusqu’au bout ! Advienne que pourra » alors que, depuis le 17 mars, 58 personnes ont été arrêtées dans le cadre d’une spectaculaire croisade anti-corruption.  Des entrepreneurs, des juges, un maire, un député, des civils mais aussi des militaires qui pourraient être condamnés a la peine maximale au Venezuela : trente ans de prison. Ces personnes sont accusées « d’appropriation ou de détournement de biens publics, de trafic d’influence, de blanchiment d’argent, d’association de malfaiteurs et de trahison », a indiqué le procureur général Tarek William Saab.

Plusieurs de ces accusés font partie de l’entourage du ministre démissionnaire Tareck El-Aissami. Personnage clé du chavisme au pouvoir, ex vice-président et ancien ministre de l’Intérieur et de l’Industrie, El-Aissami est sous le coup de sanctions des États-Unis. En ce qui concerne son éventuelle convocation devant la justice, le procureur Saab a refusé de confirmer son implication. Or, comme conséquence des enquêtes qui visent particulièrement les milieux du pétrole (principale source de revenus du pays, qui possède les plus grandes réserves au monde avec celles de l’Arabie saoudite), beaucoup soupçonnent le pouvoir de vouloir écarter le noyau dur des opposants au régime.

Dans cette optique, le règlement de comptes avec des anciens collaborateurs de l’ex président feu Hugo Chávez (1999-2013) n’est pas exclu. Ainsi, parmi les proches de celui qui s’est autoproclamé continuateur de la révolution bolivarienne, figurent Hugo Cabeza, ex-ministre et ex–gouverneur de l’État de Trujillo, et Rafael Ramírez, l’homme de confiance de Chávez. Ce dernier est accusé de corruption lorsqu’il était ministre du Pétrole (2002-2014) et président du géant pétrolier Petróleos de Venezuela (2004-2014). Mais il est en fuite en Italie et la justice de ce pays n’a pas cédée à la demande d’extradition : « Quiconque s’en prend à moi devrait réfléchir un peu, juste un peu, a la raison pour laquelle Chávez m’a eu à ses côtés pendant douze ans », a écrit de façon sibylline celui qui, en 2002, avait dirigé le processus de nationalisation du secteur pétrolier.   

D’autres dirigeants d’entreprise sont également impliqués : Antonio Pérez Suárez, vice-président du conglomérat national Petróleos de Venezuela ; Pedro Maldonado, président de l’entreprise d’exploitation de minerais tels que l’or, le fer et les diamants ; Nestor Astudillo, le directeur de l’entreprise publique de sidérurgie Orinoco, sans oublier Joselit Ramírez, gestionnaire de la cryptomonnaie vénézuélienne Petro. Fixée en théorie au prix du pétrole, ce système de paiement, qui ne s’appuie pas sur les banques pour vérifier les transactions, est devenue un moyen privilégié pour contourner les sanctions de Washington : pour la justice vénézuélienne en charge de la croisade anti-corruption, ces transactions crépusculaires auraient facilité un colossal détournement de fonds. Sur ce point, le procureur n’a pas révélé le montant présumé, mais la presse évoque le chiffre de trois milliards de dollars.

Affaire politique déguisée en croisade morale ? Pour Ana Milagros Parra, il s’agit bien d’« une purge politique, et cela n’a rien d’extraordinaire ». Car, selon la politologue, le pouvoir est dans « la nécessité d’écarter ou d’éliminer des personnes qui, d’une manière ou d’une autre, représentent une menace (pour le gouvernement) ou ne sont pas dans la ligne ». Derrière le paravent de la grâce divine,  le procureur Saad réfute toutefois cette accusation : « Pour l’amour de Dieu, depuis quand la corruption, le détournement de fonds, sont-ils un fait politique ? Où est l’idéologie ? Le vol est-il une idéologie ? », a-t-il martelé lors d’une conférence de presse. De son côté, Benigno Alarcón, directeur du Centre d’études politiques de l’Université catholique Andres Bello (UCAB), estime que « lorsque l’on voit une opportunité d’écarter un adversaire ou une faction, on la saisit car le pouvoir est un jeu à somme nulle ! ».

Selon Alarcón, la démission de Tareck El-Aissami était prévisible à cause de la rivalité entre le puissant ministre du Pétrole et le clan dirigé par les influents frères Delcy et Jorge Rodríguez, respectivement vice-président et président du Parlement du pays, lequel œuvre selon les desseins du pouvoir tentaculaire de Nicolás Maduro et ses acolytes. Dans ce contexte, il n’est pas inutile de rappeler que cette opération de « purge » anti-corruption n’est pas une nouveauté sous le gouvernement du successeur d’Hugo Chávez. Depuis 2017, le bureau du procureur Saab a enquêté sur trente-et-un « schémas de corruption » dans l’industrie pétrolière et plus de 250 fonctionnaires et opérateurs financiers ont été poursuivis. Ces enquêtes ont été possibles à la suite de la demande faite par Maduro à l’Assemblée nationale, en août 2013, de l’autoriser à agir par décret contre ce problème qui est historiquement un fardeau pour l’Amérique latine et en particulier le Venezuela. Toutefois, déjà à cette époque beaucoup estimaient que les véritables maitres de la corruption bénéficiaient d’un puissant réseau qui les mettait à l’abri des enquêtes.

À présent, le Venezuela est considéré comme l’un des pays les plus corrompus au monde, classé 177 sur 180 dans l’indice de perception de la corruption de l’ONG Transparency International. Selon un autre rapport de la Commission contre le crime et la corruption*, le Venezuela est le pays d’Amérique latine ayant la plus grande incapacité de lutte contre ce « terrible fléau de la corruption » selon les termes employés récemment par le procureur général vénézuélien M. Saab. Un témoignage recueilli par l’auteur de cet article illustre l’ampleur des dégâts. Wismar José Walldropp fait partir des sept millions de Vénézuéliens poussés à l’exil depuis une dizaine d’années. Ce radiologue, qui a obtenu l’homologation de son diplôme en Argentine après maintes épreuves et un dangereux périple à travers de nombreux pays, rapporte que la corruption est monnaie courante, même dans les petites localités : « Actuellement, le Venezuela est un pays en crise. La dégradation frappe l’économie, les services, l’éducation, la santé publique ; il y a beaucoup de corruption dans tous les ministères de la gouvernance, dans les mairies, dans toutes les institutions publiques quasiment. Par exemple, une pratique courante du gouvernement consiste à faire du “ théâtre” : certains ministères détiennent un groupe de personnes pour les présenter aux médias et nourrir les informations comme responsables de détournement de fonds. Apres un bref procès, où ils sont condamnés à un an de détention ou deux maximum, ils sortent de prison comme si de rien n’était et en pleine liberté d’action, et s’ils ont des relations dans le gouvernement, alors ils sont récompensées avec un poste plus important. »

Eduardo UGOLINI

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* L’indice de capacité de lutte contre la corruption est publié par l’organisation Americas Society/Council of the Americas (AS/COA) et la societé de conseil Control Risks.