« Que tous les présidents du Pérou finissent en prison est un mauvais message » : entretien avec Guido Croxatto Arequipa

L’Argentin Guido Croxatto, directeur de l’Institut latino-américain de criminologie et de développement social, a effectué une visite au Pérou. Croxatto est un homme de gauche qui soutient les leaders populaires d’Amérique latine. Voici une traduction de cet interview.

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Guido Croxatto d’Argentine est un lecteur de poésie. En tant qu’avocat, ces lectures l’aident à retrouver l’idéal de la justice. Il aime César Vallejo et Mariano Melgar, le poète d’Arequipa qui s’est battu pour l’indépendance du Pérou. Croxatto a visité Arequipa avec son professeur Eugenio Zaffaroni. Il discute ici des actualités péruviennes et latino-américaines.

La Colombie, l’Argentine, la Bolivie et le Chili affirment que “le peuple péruvien lutte pour le rétablissement de la démocratie”. Cela ne ressemble-t-il pas à un récit forcé? Castillo est celui qui a fait un coup d’État.

Ils se réfèrent à la légitimité fondamentale du gouvernement Pedro Castillo, comme la revendication du modèle et du message qu’il incarnait. Ces déclarations ne font pas référence à la manière dont il est arrivé au pouvoir, sans doute erronée. Le coup d’État a d’ailleurs fini par le conduire en prison. Procéduralement, il y a un vide ou un échec dans la destitution. Ils n’auraient pas fait ça à un président de droite. Le peuple s’en rend compte.

Castillo était un gouvernement inefficace, il n’aurait jamais pu se stabiliser.

Il était inefficace car perturbateur. Un président qui n’est pas pro-marché commence à prendre des mesures qui n’enchantent pas les marchés, qui s’empressent alors à les déclarer inefficace. 

Mais quelle mesure perturbatrice Castillo a-t-il prise pour perturber le marché ? Aucune.

Le Premier ministre Guido Bellido, lorsqu’il s’est rendu dans le sud, a rencontré les maires. Il a parlé quechua au Congrès. Ce n’est pas une mesure, mais ce sont des aspects d’une revendication culturelle contre le sud péruvien qui aujourd’hui se lève et sort pour protester. 

Mais ce n’est pas une mesure perturbatrice contre l’économie de marché.

Que le Premier ministre de Castillo parle quechua au Congrès et se fasse huer vous dit quelque chose sur la direction péruvienne. Laissez-les rendre Castillo fou et ne le laissez pas régner ! Comme il portait son chapeau Chotan, ils lui ont demandé de l’enlever et de s’habiller comme un président. Ce sont des aspects du colonialisme des dirigeants péruviens contre un enseignant rural. Le Pérou a été massacré par le colonialisme. 

Mais, aussi en raison de la corruption de ses dirigeants et Castillo n’est pas sauvé.

La corruption est le slogan de la droite pour discréditer les dirigeants populaires. Personne ne parle de la corruption de Mauricio Macri (ancien président argentin), de Jair Bolsonaro (Brésil) ou d’Augusto Pinochet (Chili). On parle toujours de la corruption des dirigeants de gauche pour criminaliser leurs politiques économiques. 

Dans le cas péruvien, nous avons emprisonné des présidents qui ne sont pas nécessairement des leaders populaires. Fujimori, Toledo, García se sont suicidés pour cela et Pedro Pablo Kuczynski assigné à résidence

C’est vrai et ça me semble bien par la justice péruvienne, quelque chose d’unique dans la région. La mauvaise chose est le message qui reste, que tous les présidents sont emprisonnés au Pérou, que tout politicien est corrompu et que la politique doit cesser. La prochaine étape est un gouvernement militaire, technique, sans partis politiques. Et peut-être à cause de ce mécontentement, Castillo a été atteint. La corruption a plusieurs visages. 

Evo Morales est accusé d’encourager les manifestations dans le sud du Pérou, comment l’interprétez-vous ?

Tous les leaders populaires d’Amérique latine comme Rafael Correa, Lula Da Silva, Evo Morales, Cristina Kirchner, Gustavo Petro, Gabriel Boric, ont un engagement non seulement envers leur pays mais envers l’Amérique latine. Si Evo donne son avis, il le fait de manière constructive. 

Mais, Evo promeut un État Aymara en Amérique latine avec la Bolivie, le nord du Chili et le sud du Pérou.

Il le fait conformément à la revendication culturelle de la nation Aymara et des peuples indigènes du Chili, d’Argentine, de Bolivie ; mais il faut rechercher un dialogue intelligent. Souvent, derrière des revendications légitimes, il y a des intérêts géopolitiques qui vont à l’encontre de la souveraineté de nos pays. Il faut songer à créer une sorte de tribunal de Nuremberg pour juger les crimes de la Conquête. Les colonisateurs qui ont massacré nos pays doivent être jugés. Ils ont pris l’or de ces terres. 

Nous vivons en blâmant le passé, avec ce traumatisme et nous ne nous en remettons pas.

Mais ils ont des positions très importantes, la banque Santander, par exemple, est espagnole et la plus importante d’Europe [bien que l’intervieweur lui rappelle que ce capital est arrivé récemment avec les privatisations]. 

De l’approche libérale, il y a la perception que le populisme a nui à l’Amérique latine, parce que les politiques qui sont appliquées au fil du temps n’ont aucun fondement.

Les politiques néolibérales concentrent la richesse entre quelques mains et ont appauvri nos pays, tandis que la richesse fuit l’Amérique latine. L’Argentine subit la fuite des capitaux. La plupart des économies en dollars des Argentins ne se trouvent pas en Argentine. Je suis dans la lignée de Lula au Brésil, Cristina en Argentine, Evo Morales. Il faut protéger les ressources naturelles de nos pays, afin qu’elles ne s’échappent pas. 

L’État doit gérer la santé, l’éducation et la sécurité. Un État entreprenant est un risque. Par exemple, dans les mines et le pétrole, l’exploration est une perte.

Je suis d’accord là dessus il doit y avoir une association intelligente entre l’État et le marché. La santé et l’éducation sont deux droits fondamentaux qui ne peuvent être ni commercialisés ni privatisés. 

L’éducation et la santé que gère l’État péruvien sont un désastre. Le Pérou se classe au premier rang des décès dus à la pandémie.

En effet, il faudrait une amélioration de l’administration de l’État. Peut-être est-il nécessaire de réformer l’État, mais en revendiquant le rôle de l’État. 

Le populisme au pouvoir devient totalitaire. Avec le contrôle des médias et de certains pouvoirs, la démocratie est kidnappée.

La démocratie est détournée quand il n’y a pas de vrais débats dans les médias. Les médias sont très concentrés. C’est dangereux à droite ou à gauche. En Argentine, Cristina a mis en place une loi sur les médias pour élargir les canaux d’accès aux citoyens. Nous avions une loi dictatoriale qui concentrait les médias entre quelques mains. Macri l’a abrogé parce que les médias l’ont soutenu. Cette loi a forcé un certain secteur concentré à désarmer des positions, elle les a affectés économiquement. (…) Voilà l’exemple d’un président libéral pro-marché qui n’a pas respecté les mécanismes institutionnels de la démocratie, qui a coopté l’Etat (…) Il faut avoir une lecture plus empathique. Le Pérou a élu Castillo, Boric a gagné au Chili, Lula au Brésil, le péronisme en Argentine, Petro en Colombie. 

Certains dirigeants populistes que vous avez mentionnés dans l’interview étaient proches du Venezuela.

Je ne pense pas qu’il faille stigmatiser le Venezuela, mais plutôt essayer de comprendre… 

Il y a plus de 9 millions de personnes qui ont fui

Oui, c’est une catastrophe. Il y a une crise au Venezuela sans aucun doute. [Il indique qu’en tant qu’Argentin il lui est difficile de parler du Venezuela, c’était le seul pays qui a soutenu l’Argentine dans la crise de 2001-2002 alors que les autres pays avaient déjà lâché la main].


Ne pensez-vous pas que nous explorons des formules qui n’ont pas fonctionné ?

C’est ce que nous devons découvrir car il est clair que le Venezuela est en crise. Il y a des Vénézuéliens partout en Amérique latine. 

Mais l’Argentine est aussi mauvaise.

L’Argentine est mauvaise pour le gouvernement Macri, qui était anti-chaviste. 

Mais déjà dans le gouvernement de Cristina…

Sous le gouvernement de Cristina, l’économie était en récession, mais elle n’avait pas les indicateurs que l’Argentine a aujourd’hui et surtout qu’elle avait sous le gouvernement Macri, où la dette, la faim, la pauvreté et le chômage augmentent. C’est pourquoi Macri perd la réélection.

D’après News-DayFr