Les quatre jours qui portèrent le rejet contre la nouvelle Constitution chilienne

Fin mars et début avril, le débat sur la propriété des fonds de pension et l’échec du « cinquième retrait », habilement exploité par Bernardo Fontaine, marqueront l’entrée du « Rechazo » (rejet) en première position dans les sondages. Cet avantage a été obtenu grâce à une campagne réussie qui a duré cinq mois, dont trois d’entre eux menés hors de la période légale de campagne. Au moins 29 comptes de réseaux sociaux ont investi un total de 116,7 millions de dollars sur Facebook et Instagram pour diffuser que les fonds de pension, le logement privé, les écoles privées subventionnées et les soins de santé seraient en danger.

Photo : La Tercera

En seulement quatre jours, entre le 29 mars et le 1er avril, l’”Apruebo” a perdu le confortable avantage qu’il avait dans les sondages sur le “Rechazo” et jamais il n’est parvenu à le récupérer. Finalement, le plébiscite a abouti au triomphe du Rejet, qui a obtenu 61,9 % des votes, dépassant l’approbation (38,1 %). Jusqu’au début de cette dernière semaine de mars 2022, le sondage hebdomadaire de Cadem Plaza Pública situait l’Approbation à 10 points au-dessus de l’option opposée (46 vs 36). Mais l’estimation suivante a marqué un retournement qui a laissé au Rejet prendre l’avantage de six points (46 vs 40).

Qu’est-ce qui a accaparé l’attention de l’opinion publique au cours de ces jours-là ? C’était le débat du Congrès national pour le cinquième retrait des fonds de pension. Un sujet de premier ordre pour les citoyens qui s’est converti en terre fertile pour une offensive de communication réussie en faveur du Rejet, à trois mois du début de la campagne officielle, et dont les effets sur les sondages d’opinion ont été dévastateurs pour l’Approbation. Voici les évènements qui marquèrent ces jours-là :

Mardi 29 mars 2022

La Convention enterre la possibilité, pour le projet de nouvelle Constitution, d’intégrer la règle d’initiative citoyenne nommée « Avec mon argent, non”, qui comptait avec le soutien de 60 000 signatures. Cette initiative voulait assurer que les fonds de pension – actuels et futurs – soient bien propriété des travailleurs. Le vote des membres de la Convention qui sous-estima la règle “Avec mon argent, non” a eu lieu en même temps que la discussion parlementaire pour approuver le cinquième projet de retrait des fonds de pension. On avait déjà relevé que le nouveau gouvernement, qui avait à peine 16 jours dans la Moneda et s’identifiait avec l’Approbation, s’opposerait à ce projet. Une semaine auparavant, le lundi 21 mars, la Chambre des députés avait donné son feu vert à la possibilité de concrétiser le nouveau retrait, une politique appuyée par une opinion publique qui avait déjà fait sienne l’idée que ces recours devaient être accessibles aux cotisants.

Mercredi 30 mars

Le titre de la une de Las Últimas Noticias d’aujourd’hui a frappé fort et s’est propagé comme un virus : « Les travailleurs ne seront plus maîtres de leurs économies de prévoyance ». La phrase provient de l’économiste Bernardo Fontaine (membre de la Convention constituante pour Rénovation nationale et fils de l’ancien directeur du journal de droite El Mercurio Arturo Fontaine). Le texte de la proposition pour la Constitution ne disait pas cela, et si l’Approbation avait gagné, le point concernant la propriété des fonds aurait dû être défini par une loi que les parlementaires auraient gérée. Mais l’interprétation de Fontaine a réussi à faire passer qu’avec la décision de la Convention de rejeter la proposition de « Avec mon argent, non », la propriété des fonds de pension était en danger. 

Des milliers de personnes qui avaient appuyé de leur signature l’initiative “Avec mon argent, non » furent une exceptionnelle caisse de résonance pour contaminer la une du compte Twitter de Fontaine, qui ce jour-là fut le sujet tendance sur Twitter. Dans cette même journée, Cadem réalisa une enquête sur le terrain qui serait publiée le lendemain et qui marquerait un tournant en faveur du Rejet. Bernardo Fontaine connaissait bien la portée stratégique de ses paroles : le porte-parole de « Avec mon argent, non » était Francisco Orrego, avocat et militant de Rénovation national qui de plus exerçait comme conseiller à la communication et aux contenus législatifs pour Fontaine au sein de la Convention.

Vendredi 1er avril

Le sondage Cadem Plaza Pública est publié et le Rejet dépasse l’Approbation pour la première fois : 46 % vs 36 %. Le travail sur le terrain s’est réalisé entre le mercredi 30 mars, lorsque le Tweet de Fontaine a eu une grande répercussion, et le jeudi 31 mars. À partir de ce moment-là, le Rejet a conservé un avantage entre 3 et 18 points dans ce même sondage. Dans la dernière enquête publiée par Cadem, le 19 août ; il emportait encore un 46 % des votes.

Samedi 9 avril

Une campagne est activée sur les réseaux sociaux avec la circulation d’une vidéo de l’ex-conventionnaliste Ruggero Cozzi (Rénovation nationale RN, droite) qui mettait en avant le rejet de la Convention à l’initiative de « Avec mon argent, non ». Il était accompagné d’une légende aussi précise qu’exhaustive : « La Convention constitutionnelle n’a pas voulu protéger ton épargne ». La publication est apparue sur une ancienne page Facebook appelée « Réforme la Réforme », promue lors des discussions sur les modifications du système AFP (Agence des fonds de pension), et qui a réactivé ses frais en propagande pour accueillir le nouveau débat qui pointait contre l’approbation. Cette page est soutenue par la Fondation Citoyens en Action (CEA), une entité dont Bernardo Fontaine a été directeur jusqu’à son entrée en fonction dans la Convention.

Lundi 11 avril

Il se produit une rupture d’équilibre dans les mentions de l’Approbation et du Rejet dans les médias. C’est ainsi que le montre une étude de Unholster, publié sur sa plateforme « Chile Décide » le 16 août passé. La vérification de 18 médias indique que dans les premiers jours d’avril, ils firent 120 fois mention du mot « Rejet » contre 95 apparitions d’« Approbation ». Jusqu’à la semaine dernière, la différence était seulement de 49 à 43 en faveur du Rejet.

Jeudi 14 avril

Le sondage hebdomadaire de Cadem Plaza Pública montre que pour la première fois le désaveu de la gestion du président Gabriel Boric dépasse l’approbation : 50 contre 40. L’estimation précédente avait relevé 44 et 41, en faveur de la gestion du président. La tendance majoritaire de ceux qui désapprouvent maintient son avantage à ce jour.

Lundi 18 avril

Le projet du cinquième retrait des fonds de pension* revient définitivement dans la Chambre des Députés, avec le rejet d’un vaste secteur du parti au pouvoir, donnant un coup d’arrêt à l’une des initiatives les plus populaires et qui était à l’ordre du jour depuis la pandémie. Les critiques au gouvernement et à l’Approbation se multiplièrent à nouveau.

UNE CAMPAGNE DE CINQ MOIS

L’avantage dans les sondages étant conquis, il fallait le maintenir. La stratégie réussie, étrennée par Fontaine, de présenter des interprétations extrêmes et des scénarios hypothétiques en les donnant pour vrai (comme que les fonds de pensions n’appartiendraient plus aux travailleurs) fut repris par les forces du Rejet à propos de trois autres sujets sensibles pour les citoyens : la santé (les personnes pourront seulement être soignées dans les hôpitaux publics et les listes d’attente augmenteront) ; logement (pas de garantie de la propriété privée) et l’Éducation (l’État cessera de financer les écoles privées subventionnées, ce qui les amènera à disparaître).                 

Ces idées ont été diffusées grâce à une stratégie de communication soignée à travers les réseaux sociaux, qui s’est étendue depuis début avril – quand se propagèrent des vidéos et des images qui indiquaient que la Convention ne protégeait pas les économies de prévoyance des citoyens – jusqu’à la réalisation du plébiscite. Cette stratégie de diffusion couvrit presque cinq mois de campagne (dont trois d’entre eux hors du temps légal établi par le service électoral pour faire campagne). 

Pour faire courir les messages sur les réseaux sociaux, de vieux comptes – comme ceux de la fondation liée à Fontaine ont été réactivés – et certaines pages de Facebook se remirent en route. Ces dernières s’activèrent sous l’argument qu’elles serviraient pour « essayer » des contenus pensés pour la Frange de la période légale de campagne. Mais, dans les faits, ses messages se propagèrent. Comme cela s’est passé avec le thème des pension. 

CIPER identifia 29 pages de Facebook et Instagram, sans contrôle du Servel, associées à des organisations ou des initiatives du Rejet. Dans ces pages, en accord avec les registres officiels de ses réseaux sociaux, il s’est investi plus de 116,7 millions de dollars entre mai et juillet 2022 en publications qui critiquaient le contenu de la proposition de la Constitution, mettaient en cause le savoir-faire de la Convention et y compris, appelaient ouvertement à voter pour le Rejet. En plus de la propagation sur les réseaux sociaux, la stratégie comprenait aussi l’envoi direct de messages par WhatsApp. 

Les maisons appartiendront à l’État

Les 120 personnes interviewées par CIPER donnèrent, en général, plus d’un motif pour pencher vers le Rejet. Ces réponses se regroupèrent et le résultat aboutit à dire que l’argument qui s’était le plus répété (29 fois) fut la préoccupation pour la propriété du logement ; les personnes marquèrent leur Rejet parce que leurs maisons allaient devenir propriété de l’Etat, ou encore qu’elles n’en seraient pas héritières. Ces réponses reflètent que la désinformation, les interprétations qui s’écartaient de ce qui était écrit dans la proposition de Constitution et, directement, les fausses nouvelles, pourraient avoir joué un rôle important dans le vote. La proposition de nouvelle Constitution n’envisageait pas que l’État s’approprie les logements, ni même que ceux-ci ne puissent être hérités par les enfants.

Macarena SEGOVIA & Paulina TORO

L’autorisation des retraits des fonds de pension fut la réponse du gouvernement de droite de Sebastián Piñera devant la crise sociale et économique provoquée par la situation sanitaire du Covid 19. Il y eut 4 retraits et le gouvernement de Gabriel Boric s’est refusé à en autoriser un 5e expliquant qu’il n’était pas normal que les travailleurs se voient obligés à recourir à leurs cotisations de retraite. 

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CIPER considère que la démocratie a comme l’un de ses piliers fondamentaux le droit des citoyens à faire l’examen des pouvoirs publics et privés afin de vérifier qu’ils respectent la loi et qu’ils sont à la hauteur des attentes qui ont germées explicitement chez les citoyens. Ciper pense qu’un des devoirs du journalisme d’investigation est de faire cet examen, afin de contribuer à la transparence de la sphère publique. Le journalisme d’investigation, selon l’opinion de Ciper ne sape pas le pouvoir sinon que paradoxalement, il contribue à sa légitimité en essayant de l’aider à satisfaire aux normes qui sont propres à une société démocratique. Ces normes indiquent que ceux qui possèdent le pouvoir étatique ou en dehors de l’État, ou qui aspirent à l’avoir, doivent respecter rigoureusement la loi, respecter les droits fondamentaux des citoyens et être à la hauteur des attentes qui ont germées dans l’opinion publique en tant que fondement de sa réputation.