Gustavo Petro, une seconde chance pour la Colombie

Le 7 août dernier, Gustavo Petro devenait président de la République colombienne. Une présidence de gauche – une première pour le pays – et atypique pour son passé de guérillero. Retour sur cette journée historique qui insuffle une nouvelle ère pour la scène politique colombienne.

Page : La Epoca

Le 7 août dernier, le vent soufflait sur Bogotá. Des milliers de Colombiens sont réunis sur la place Bolivar dans l’attente d’un discours historique : celui du premier président de gauche de la Colombie. Sur scène, Gustavo Petro, élu en juin dernier avec 11 millions de voix, s’avance au milieu des bourrasques et déroule le programme qu’il a imaginé pour son pays pour les quatre prochaines années. Sur la forme, Gustavo Petro n’est certainement pas l’héritier de la longue tradition des leaders charismatiques de la gauche latino-américaine, dont l’art oratoire faisait trembler leurs adversaires politiques. Petro lit d’un ton monocorde un discours sans envolée, au style ampoulé, loin des slogans efficaces. Sa nervosité le fait remettre ses cheveux en place tout au long d’un exposé de 45 minutes.

Cependant, à l’instar d’autres politiciens de gauche, Petro a l’art de manier les symboles. À ses côtés, brille sous le soleil l’épée de Simón Bolívar. Symbole de la liberté du peuple colombien, cette arme fut volée en 1974 par la guérilla M-19, dont Petro fut membre. Rendu en 1991, après un accord de paix avec le gouvernement colombien, voir cette épée trôner aux côtés d’un ancien guérillero est définitivement un symbole fort de réconciliation, dans un pays fragmenté par la violence.  

Un discours attendu et entendu

Sur le fond, le nouveau président ne propose rien de révolutionnaire, mais rentre en rupture complète avec les politiques conservatrices et militaristes qui ont régné en Colombie ces dernières décennies. Petro propose une réforme fiscale, visant à une meilleure redistribution des richesses. Sous les yeux de Santos, présent dans l’assemblée, il réaffirme sa volonté de respecter les accords de paix négociés par l’ancien président. Il propose également la fin de la guerre contre la drogue, qui militarisa la Colombie et en fit le meilleur allié des États-Unis dans la région.

D’un point de vue international, Petro se détourne donc des USA et décide de regarder au sud et à l’est. Au sud, pour renouer avec le reste de l’Amérique latine, où la gauche réapparaît dans le paysage politique, notamment avec la présidence de Gabriel Boric au Chili. À est, par la main tendue de Caracas, afin de rouvrir les canaux diplomatiques entre les deux pays frères, aux destins liés aussi bien par l’Histoire que par les millions de Vénézuéliens réfugiés actuellement en Colombie. Toujours plus à l’est, Petro ouvre la porte à une plus importante coopération avec le continent africain, « d’où nous venons », soulignant l’importance de la communauté afrodescendante colombienne, souvent invisibilisée et victime de discriminations.

De cette même communauté justement est issue Francia Márquez, vice-présidente de Gustavo Petro. Une émotion particulière traverse la foule au moment de voir pour la première fois une femme noire militante prêter serment et arriver à ce niveau de responsabilité. Dans sa brève déclaration, Márquez promit de gouverner « jusqu’à ce que la dignité devienne la norme. » Et comme en Colombie une Márquez en cache souvent un autre, Petro ne put s’empêcher de citer le plus célèbre des auteurs colombiens, Gabriel García Márquez, en proposant que sa gestion soit « una segunda oportunidad » (une seconde chance) pour la Colombie. Un pays qui pourrait finalement concrétiser les paroles de son hymne national et sentir pour ne plus subir (« sentir o padecer »). 

Ce jour-là, le vent soufflait sur Bogotá. Un vent de renouveau duquel les Colombiens attendent beaucoup. Peut-être trop ? Seul le temps le dira. La gestion de Petro sera scrutée de près, aussi bien par ses opposants que par ses partisans les plus fidèles. Ayant placé en lui l’espoir d’une Colombie plus juste, le nouveau président n’aura pas droit à l’erreur s’il veut voir la gauche prospérer sur la scène politique nationale. Car la société colombienne n’est plus en mesure d’être déçue encore une fois.

Romain DROOG

Dans ce newsletter nous publions de longs extraits du discours de Gustavo Petro et dans notre édition trimestrielle d’octobre-décembre 2022.