La colonisation du savoir : une histoire des plantes médicinales du « Nouveau Monde » (1492-1750) est un ouvrage de Samir Boumediene dans lequel le chercheur fait l’histoire des plantes médicinales américaines et des enjeux qui les entourent au moment de la colonisation par les Européens. Le texte a été récompensé par le musée du Quai Branly, l’AMADES et la Société d’histoire naturelle de Genève. L’auteur, chargé de recherches au CNRS et pensionnaire de la Villa Médicis cette année, a publié pour la première fois son texte chez Les Éditions des mondes à faire en 2016 et l’édite pour la seconde fois dans la collection Folio Histoire de Gallimard. En librairie depuis le 30 juin 2022.
Photo : Forest Kin
Dans son histoire des plantes médicinales du Nouveau Monde, Samir Boumediene propose une étude à la croisée des questions botaniques, coloniales et politiques entre 1492 et 1750. En terres américaines, les plantes médicinales sont des matériaux-savoirs, un ensemble de connaissances transmis et hérité que les Européens vont progressivement s’approprier après leur arrivée hasardeuse aux Antilles en 1492. L’histoire de ces plantes – dont les usages sont, entre autres, curatifs, abortifs, récréatifs, rituels, religieux, commerciaux – devient alors également l’histoire de la colonisation du savoir par les Européens.
Tandis qu’en Europe on soigne selon la théorie des humeurs ou grâce à l’administration de remèdes minéraux et chimiques, la conception de la médecine est différente en Amérique. Christophe Colomb comprend d’ailleurs très tôt l’enjeu des plantes médicinales car, face à la propagation rapide de la syphilis, les conquistadors d’abord méfiants finissent par consommer du gaïac pour guérir. Et si, dans un premier temps, cette médecine américaine n’est acceptée que par nécessité de survie, une véritable « conquête des savoirs » (1) se met en place. Les Amérindiens ne sont plus considérés en tant que seule force de travail mais aussi en tant que détenteurs de connaissances.
C’est justement la question du savoir qui est au cœur de cet ouvrage de Samir Boumediene : comment nommer ce qu’on ne connaît pas ? Comment les Européens perçoivent-ils les réalités américaines auxquelles ils sont confrontés dans ce Nouveau Monde ? Cette interrogation centrale dans les études sur la colonisation des Amériques renvoie à la volonté d’utiliser les catégories connues pour désigner l’inconnu, c’est-à-dire que ce qui est déjà connu en Europe et dans les Indes orientales est calqué sur les Amériques, appelées alors Indes occidentales. La « pharmacopée américaine » (2) n’y échappe pas et l’auteur nous raconte l’histoire de ces plantes qui, peu à peu, passent de remèdes de fortune pour les colons transatlantiques à marchandises commerciales de choix sur le Vieux Continent où la pharmacopée européenne évolue en conséquence. Mais le savoir est un enjeu politique et, à travers les « ruptures de communication » (3) décrites dans la troisième partie, on découvre également le refus de transmission de ces connaissances sur les plantes médicinales. Le savoir n’est alors plus une simple domination mais relève bien de dynamiques plus complexes qui sont exposées dans le livre.
Les travaux de recherche de Samir Boumediene – menés aux Université de Lorraine, Casa de Velázquez, Institut Max-Planck et Université de Cambridge – sont condensés dans cet ouvrage aussi fascinant qu’accessible. Nul besoin d’être un aficionado de la botanique pour s’y plonger, grâce à la plume de l’auteur qui guide son lecteur sans jamais le perdre à travers les histoires du continent et des différentes écorces, herbes et autres plantes médicinales. Gaïac, coca, maté, tabac, cacao, pulque, chocolat, vous saurez tout sur ces végétaux aux vertus thérapeutiques ainsi que sur les visions du monde qui s’y rattachent. Samir Boumediene fait une brillante histoire des sciences où se croisent les questions culturelles et politiques. Une découverte fabuleuse qui ravira les curieux et curieuses.
Nina MORELLI
La colonisation du savoir. Une histoire des plantes médicinales du Nouveau Monde (1492-1750) de Samir Boumediene, éd. Gallimard, coll. Folio Histoire, n°323, 576 p., 13,80 euros.
Notes : (1) p. 329. / (2) p. 56. / (3) p. 340.