En Colombie, Medellín ambitionne de devenir une ville écolo

L’équipe municipale en place à Medellín s’est lancé le défi d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 et affiche un plan d’action ambitieux pour transformer la ville. Mais sa feuille de route est fragile.

Photo : Sabine Grandadam

La situation ne date pas d’hier : Medellín s’asphyxie avec ses gaz d’échappement et ses émissions industrielles, au point de devoir, dans l’année, cumuler des jours et des jours de circulation alternée et d’alerte à la pollution.  À la particularité du site naturel de cette ville nichée dans une cuvette montagneuse à près de 1500 m d’altitude et qui a colonisé les collines avoisinantes au gré des implantations de population de ces dernières décennies, le dispute une dense circulation automobile, de motos et des bus poussifs qui expirent un gaz noirâtre. Compte tenu de la configuration géographique de la ville, ces émissions se dissipent difficilement et les maladies respiratoires liées à la pollution affectent chaque année des milliers de personnes, faisant de ce fléau l’une des principales préoccupations des habitants. 

De la pollution comme d’autres maux environnementaux, le maire Daniel Quintero pense pouvoir venir à bout. Il ambitionne même de voir sa ville de 4 millions d’habitants devenir neutre en émissions de CO2 d’ici à 2050, comme il l’a annoncé lors de la COP26 en novembre 2021. À cette occasion, il a déclaré vouloir réduire de 50 % d’ici 2030 les émissions de gaz à effet de serre dans la ville.  Le défi environnemental avait constitué, courant 2019, l’un des axes principaux de sa campagne, conduite sous une étiquette d’outsider en politique. Élu en octobre 2019, il lançait : “Nous allons faire de Medellín une ville durable [“ecociudad“] grâce à la mise en œuvre de stratégies de court, moyen et long terme ».

La seconde ville du pays, capitale de la région d’Antioquia située entre mer et Cordillère des Andes au nord-ouest du pays, n’avait certes pas attendu son édile actuel pour lancer des travaux de verdissement de la ville, des pistes cyclables et des parcs urbains qui capturent le dioxyde de carbone. Mais “les défis environnementaux sont désormais au coeur de tous les services municipaux, de manière transversale, le concept de ville durable est l’enjeu principal de nos actions“, assure Juliana Colorado Jaramillo, en charge de l’Environnement pour la Ville et de la mise en oeuvre du “Plan d’action climatique“ de Medellín. 

Rémunération contre services 

Le premier levier stratégique en la matière a consisté à devenir une ville émettrice de crédits carbone. Le crédit carbone, destiné à lutter contre le changement climatique, est une unité qui correspond à une tonne de CO2 séquestrée. Cette unité peut se revendre ou être utilisée pour compenser les propres émissions de son détenteur. En septembre 2021, Medellín s’enorgueillissait donc d’être la première ville du pays à se voir attribuer des crédits de carbone neutre obtenus grâce à ses efforts sur la protection des forêts et des sols de ses vastes zones plus rurales. “Nous achetons des forêts pour les protéger“, résume Juliana Colorado. En 2021, la municipalité a ainsi acheté 89 terrains forestiers et riches en ressources en eau qui jalonnent les pentes de ses montagnes. L’objectif de ces acquisitions est d’éviter que ces réserves forestières ne disparaissent ou que les ressources en eau – sources, ruisseaux- ne soient polluées ou détournées.

Un deal est alors noué avec les propriétaires de terres voisines de ces forêts : la Ville leur propose de devenir les “gardiens de l’environnement“, moyennant rémunération. “Entre les terres que nous achetons et le système de paiement pour services environnementaux, nous maintenons le poumon vert de Medellín“, poursuit la jeune femme. Près de cinquante propriétaires terriens se sont ainsi adjoints au programme l’an dernier, et constituent une sorte de garde forestière, particulièrement importante pour l’agglomération. De fait, comme ailleurs en Amérique latine, les installations intempestives de nouveaux arrivants sur les pentes environnantes menacent l’équilibre écologique et la sauvegarde des ressources hydriques. La prise en charge des questions sociales ne peut évidemment être éludée et fait l’objet de politiques d’insertion et d’aménagement du territoire. 

Biodiversité au cœur de la ville

Au cœur de la cité, le vert et la biodiversité regagnent progressivement du terrain sur le gris de l’asphalte. Au jardin vertical de 767 mètres carrés qui couvre désormais l’hôtel de ville et ses divers bâtiments répondent les “Parques del Río“, un programme de parcs urbains conçus pour créer un corridor vert parcourant la ville du nord au sud tout au long du fleuve Medellín, des zones les plus pauvres aux quartiers aisés. Là non plus, l’équipe municipale actuelle n’a rien inventé, ce projet ayant été amorcé en 2015 avec un premier parc. Mais d’ici 2023, dernière année du mandat de Daniel Quintero, un Parque del Río Norte, la partie de la ville la plus fragilisée socialement, devrait s’achever et il constitue un véritable emblème de la détermination de l’équipe pour verdir la ville et, selon les élus, créer plus de liens entre les différentes “strates“ de citoyens. Loin d’être de simples espaces verts urbains, ces parcs affichent évidemment l’ambition d’accroître la biodiversité sur des zones très urbanisées avec la plantation de dizaines de milliers d’arbres. Le futur parc pose par ailleurs de considérables défis d’aménagement, puisqu’il s’agira de redessiner ce qui est aujourd’hui une cavalcade de petits habitats agglutinés les uns aux autres, afin de restituer de l’espace et de la végétation aux habitants. Enfin, pour configurer le parque del Río Norte, il faut également retrouver le lit d’un affluent, pour partie couvert par l’urbanisation galopante de ces quartiers. 

Pour l’heure, la pépinière municipale de Medellín comptabilise plusieurs centaines de milliers d’arbres plantés dans la ville en moins de dix ans. C’est une fierté au même titre que celle qui a vu la recherche scientifique de l’Université d’Antioquia missionner des chercheurs dans la dizaine de réserves vertes de la ville, pour y trouver de véritables trésors de papillons, d’insectes ou de végétaux méconnus et de retour en ville…“C’est indéniable, nous voyons la différence et les initiatives de ces dernières années pour reboiser en zone urbaine, constate María Victoria, une habitante spécialiste du développement durable pour une entreprise de la région. “C’est sans doute l’aspect le plus visible, là où sur d’autres chapitres comme la mobilité et la gestion de la pollution, les actions préventives manquent encore cruellement.“

Déchets : une éducation à mettre en place

De fait, si les pistes cyclables ont elles aussi proliféré sur 65 km de parcours divers en 35 ans d’existence, et encouragé l’utilisation du réseau de vélos en libre-service Encicla, la mobilité moins polluante est un défi difficile à relever. “C’est notamment une question d’amélioration du transport public existant et d’éducation des citoyens afin que ceux-ci respectent les pistes cyclables“, poursuit María Victoria. 

D’autres thèmes-clés sont inscrits à l’agenda du Secrétariat à l’Environnement de la Ville : la gestion des déchets et la sauvegarde des ressources en eau. Juliana Colorado explique ainsi la nécessité absolue de protéger le réseau hydrique de Medellín, fréquemment pollué par le dépôt sauvage d’ordures : “Nombre d’habitants ont l’habitude de jeter leurs déchets, petits ou grands -y compris des motos, des matelas, etc. – dans le lit des ruisseaux, dans les fossés. Lorsque les pluies sont fortes, cela accroît des désastres environnementaux comme les glissements de terrain car l’eau charrie les déchets qui viennent ensuite boucher les évacuations ».  Selon la fonctionnaire, c’est toute une éducation qu’il convient d’insuffler aux citadins afin d’améliorer la gestion des déchets, à commencer par le dépôt des ordures dans les containers prévus à cet effet. “Nous souhaitons recréer sur cet aspect la ‘culture métro’ qui fonctionne si bien“, lance-t-elle. À Medellín, le respect du metrocable et du réseau de métro par ses usagers est ancré dans la mentalité locale. À terme, la municipalité rêve de voir émerger un modèle d’économie circulaire qui permettrait aux habitants de générer des revenus grâce au recyclage et à la valorisation des déchets. 

L’œil critique des citoyens 

Toutefois, à cette fin comme pour d’autres objectifs affichés par la municipalité, la gestion municipale est défaillante, estime Erika Castro-Buitrago, professeure à l’université de Medellín et spécialiste du droit environnemental : “L’équipe ne s’est pas assurée de la participation et du soutien des organisations civiles, militants et associations de défense de l’environnement et des citoyens.“ Daniel Quintero avait pourtant promis “de créer une grande table ronde sur l’environnement regroupant les associations citoyennes et les élus, mais aucun engagement sérieux n’a vu le jour jusqu’à présent“, reproche la militante. Ce hiatus est perceptible dans nombre de commentaires sur la politique environnementale à Medellín. “De ce fait, les citoyens comme les militants ou les institutions telles que l’Université ne perçoivent aucune prise en compte des voix citoyennes dans les projets envisagés“, poursuit Erika Castro. Qui souligne par ailleurs un autre frein à l’ambition de la Ville : le budget “dérisoire“ alloué au département de l’Environnement de Juliana Colorado. “Il ne permet nullement d’honorer les promesses électorales“ faites pendant la campagne du maire, notamment le leitmotiv de la “ville durable“. Le budget de près de 15 millions d’euros pour 2022 compte parmi “les plus désargentés de la Ville“ et est au plus bas depuis 11 ans, titrait un journal local. 

Malgré ces critiques, cette ville qui a connu une renaissance extraordinaire après ses années noires sous la férule de Pablo Escobar se bat sur des fronts complexes : il faut concilier urbanisme, intégration sociale et gestion des ressources naturelles, anticiper les importants risques liés à la topographie, comme les glissements de terrain, etc. Sur fond de discordes politiques qui ont failli tout récemment coûter son poste à Daniel Quintero, Medellín avance néanmoins dans ses ambitions grâce à l’engagement passionné de ses paisas qui adorent leur ville, même s’ils s’écharpent sur les solutions. 

Sabine GRANDADAM