Reinaldo Arenas : « Le portier », l’exil à Cuba et Manhattan

Reinaldo Arenas, écrivain cubain né en 1943 à Holguín, s’exile aux États-Unis en 1980 et se donne la mort à New-York en décembre 1990. Il n’est jamais revenu à Cuba. Le portier avait été publié par les Presses de la Renaissance en 1988. Cette nouvelle édition 2021 est traduite de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu et complétée par une nouvelle, Fin d’un conte. C’est le seul roman de l’écrivain entièrement écrit aux États-Unis.

Photo : Pacos USA

Tout au long du XXe siècle et aujourd’hui encore, l’Amérique latine a connu les formes les plus variées de l’exil et la littérature leur a donné corps à travers des personnages réels et imaginaires. Cuba a été le symbole de l’exil tout au long de la seconde moitié du XXe siècle. Et en 2021, l’exil forcé de ses artistes est devenu une arme de l’État contre ceux qui revendiquent la liberté d’expression. Léonardo Padura, écrivain internationalement reconnu, vit et écrit encore à Cuba. On se souvient de Retour à Ithaque, adapté à l’écran par Laurent Cantet à partir du roman Le Palmier et l’Étoile. Le film déploie un théâtre des nostalgies où « le mal du pays » prend une dimension ample qui touche tout autant ceux qui sont partis que ceux qui sont restés, privés de la « crédulité heureuse ». Léonardo Padura disait à propos de Reinaldo Arenas qu’il était un des rares écrivains cubains à n’avoir pas évolué « en vase clos ». On n’en est pas convaincu à la lecture du Portier.

Juan est un jeune Cubain exilé à New-York. C’est le double de l’écrivain. Il devient portier d’un immeuble résidentiel dans « la partie la plus luxueuse de Manhattan ». Dans cet immeuble qui ressemble à une île vivent des personnages excentriques avec leurs extravagants animaux de compagnie. Tout ce monde est dans un mouvement perpétuel qui passe par le lobby où officie le portier. Le lecteur est invité à un carnaval fantastique fait de scènes cocasses où la tristesse semble apparemment bannie et l’imagination de l’écrivain réellement débridée. Pourtant, Juan a une grave et noble mission pour certains des habitants de cet immeuble : leur donner accès à une porte invisible pour aller vers leur propre vie, « celle du bonheur véritable ».

L’une des résidentes de cet immeuble est Miss Mary Avilés, d’origine cubaine, de qui le portier se sent proche au point de la considérer comme sa promise. Elle gagne très bien sa vie mais, n’ayant pas d’intérêt pour le monde, elle multiplie les tentatives de suicide qui resteront longtemps vaines. Les deux se sentent proches car, nous dit le narrateur, « Oui, d’une certaine manière, cette folie étrange et différente qui les consumait tous deux, les identifiait, et qui sait (…) les consolait peut-être ». Reinaldo Arenas n’a pas été un suicidant maladroit. En 1987, il apprend qu’il est atteint du sida. En 1990, il met fin à ses jours en absorbant un mélange d’alcool et de médicaments. C’est la même fin qu’il choisit pour Mary Avilés dans le roman.

L’homosexualité est aussi présente dans Le Portier. Le couple des « deux Oscar » de l’immeuble les représente de manière drôle et cruelle. L’un se fait appeler Oscar Times, dans son désir de se fondre à la société américaine. En réalité, Il est d’origine cubaine et son nom véritable est Ramon Garcia Pérez. À partir de 1985, les « deux Oscar » affrontent le risque mortel du sida et « la quête angoissée » du beau spécimen masculin qu’ils croient rencontrer en la personne du portier, à portée de mains.  Lui ne désespère pas de les élever vers ‘La porte’, celle qui les conduirait au bonheur. Quiproquos et rires grinçants parcourent le récit et le carnaval auquel nous convie Reinaldo Arenas n’est décidément pas toujours joyeux ! 

L’écriture de la nouvelle qui clôt l’ouvrage s’intitule Fin d’un conte. Elle est écrite aux États-Unis en 1982, après son exil. On y perçoit à chaque page, comme l’écrit l’éditeur, la « douce et incurable souffrance de la nostalgie de l’île perdue », d’où il s’est sauvé et loin de laquelle il n’a pas pu continuer à vivre. Le portier aussi rêve et cherche l’ailleurs mais il est inexorablement reconduit vers son île.

Dans cet ouvrage, Reinaldo Arenas a pris le parti du rire, de la cocasserie mais ne parvient pas totalement à faire oublier à son lecteur sa souffrance : l’île était pour lui tout à la fois une caresse et une douleur. « En exil on n’est plus qu’un fantôme, une ombre de quelqu’un qui ne parvient jamais à atteindre sa totale réalité ; moi, je n’existe pas depuis que je suis entré en exil ; depuis lors, j’ai commencé à fuir de moi-même » écrit-il dans sa biographie (Antes que anochezca).

Maurice NAHORY

Le Portier suivi de Fin d’un conte de Reinaldo Arenas, traduit de l’espagnol (Cuba) par Jean-Marie Saint-Lu, édité par Payot et Rivages (2021, 317 pages, 21€)