Le second tour de l’élection présidentielle chilienne aura lieu le 14 décembre et opposera la candidate communiste pro-gouvernementale Jeannette Jara au chef du parti des Républicains situé à l’extrême droite José Antonio Kast, les deux vainqueurs du premier tour, le 16 novembre dernier. Arithmétiquement, José Antonio Kast, bien qu’arrivé en seconde position, a toutes les chances de l’emporter face à Jeannette Jara qui, avec un peu moins de 27 %, semble avoir fait le plein des voix de gauche dès le premier tour.
France24
José Antonio Kast qui est arrivé en tête des candidats de droite avec près de 24 % a déjà reçu le désistement en sa faveur de la candidate de centre-droit Evelyn Matthei qui n’a obtenu que 12,5 % environ des suffrages au premier tour. Pour que les reports de voix se fassent correctement de la part de cet électorat de droite modérée, José Antonio Kast devra éviter des déclarations vantant les mérites de la dictature de Pinochet, ce qu’il n’aura sans doute pas trop de mal à faire étant donné qu’il a déjà baissé le ton à ce propos depuis la précédente campagne présidentielle et surtout que ce thème n’est plus vraiment un enjeu politique dans l’électorat de droite et du centre.
Le véritable défi pour José Antonio Kast sera de recueillir le maximum de voix du premier tour de ses challengers populistes à tendances libertariennes : Franco Parisi (près de 20 %) dont les positions fluctuantes ont permis d’attirer des électeurs tous azimuts y compris de gauche, et Johannes Kaiser (près de 14 %) qui renouvelle un certain style d’autoritarisme en se situant dans les sillages de Trump, Milei et Bolsonaro.
Mais le rassemblement de la droite, voire du centre et même d’une partie des électeurs voyageurs du spectre politique selon les scrutins, devrait se faire sans grande difficulté étant donné les deux thèmes largement consensuels qui ont déjà animé la campagne du premier tour : la sécurité (dans le pays considéré comme le plus sûr du continent, le doublement des homicides en dix ans font considérer à 63 % de la population l’insécurité comme la première préoccupation) et l’immigration clandestine (notamment vénézuélienne, considérée comme contribuant à une hausse de la criminalité). À cet égard, il est significatif que le président extrêmement répressif du Salvador Nayib Bukele recueille l’admiration de près de 70 % des Chiliens.
Face à ces questions, la gauche est en nette recul. Et les médiocres résultats tant économiques (même si le taux de croissance reste positif, il est moindre qu’espéré) que politiques (échec de la Constituante notamment) obtenus par le gouvernement sortant du président socialiste Gabriel Boric contribuent également à ce recul. Mais c’est un mouvement de fond plus global et qui touche la gauche bien au-delà du Chili qui explique peut-être principalement l’inversion du rapport des forces politiques entre la gauche et la droite.
On a assisté en effet durant la dernière décennie au recul de ce la gauche de gouvernement chilienne (caractérisée par l’alliance entre « les socialistes démocratiques » de la majorité du PS chilien, du PPD et des démocrates-chrétiens) en faveur d’une « nouvelle gauche », à la fois plus radicale et plus sociétale, issue en grande partie des mouvements d’étudiants des années 2019-2020, et globalement influencée par le wokisme. De façon similaire (mais pas totalement superposable) à ce qui se passe en France, la gauche démocratique, épuisée, pourrait disparaître du paysage politique en cédant la place à une autre gauche plus jeune, plus mondialisée et au tropisme plus ou moins révolutionnaire. Du côté de la droite, un mouvement équivalent est à l’œuvre : fragmentation et renforcement au profit d’une droite plus extrême elle-même diversifiée. José Antonio Kast peut être caractérisé comme appartenant à l’extrême droite, et Johannes Kaiser est sans doute plus proche de l’extrémisme possiblement putchiste d’un Bolsonaro que de l’extravagance réfléchie d’un Miléi ; tous deux présentent ainsi des traits extrémistes qui les distinguent, par exemple, du RN français.
Toutefois, malgré sa défense des « aspects positifs » du régime de Pinochet, on peut probablement croire José Antonio Kast lorsqu’il affirme qu’il n’est pas favorable à un régime militaire aujourd’hui. Toutefois, tandis que l’approbation au régime pinochetiste avait connu une chute significative à partir de 2008 à la suite des poursuites judiciaires pour corruption de l’ancien dictateur, la première candidature de Katz à la présidentielle en 2017 où il a obtenu 9 %, a marqué un retour en grâce de l’image de Pinochet sous une forme nostalgique. Le renouvellement de la classe politique et de l’effacement de la scène politique des personnalités de droite (notamment Sebastián Piñera, élus à deux reprise président) qui avait lâché Pinochet à la fin de la dictature et permis la transition à la démocratie à partir de 1989, favorise évidemment ce retour de la figure de Pinochet, plus iconique cependant que véritablement doctrinal.
Par ailleurs, s’il l’emporte, José Antonio Kast devra gouverner avec une majorité issue des trois principales alliances de droite à la Chambre des députés et une quasi-égalité avec la gauche au Sénat ce qui nécessitera des négociations et des accords. En tout état de cause, l’objectif de la droite du contrôle absolu des deux chambres n’est pas atteint. Elle n’a pas non plus obtenu la majorité des 4/7 qui lui aurait permis d’entreprendre des réformes constitutionnelles sans chercher un consensus bien au-delà de ses rangs.
Ainsi, le parallèle que certains voudraient faire avec Franco n’est sans doute pas très pertinent. En premier lieu parce que la droite chilienne du retour à la démocratie s’est reconstituée contre la volonté de Pinochet de perdurer au pouvoir après 1988. Tandis que le PP en Espagne n’a jamais réalisé une telle rupture avec le Caudillo, ayant attendu la mort naturelle de celui-ci pour participer bon gré mal gré à la monarchie parlementaire impulsée par Juan Carlos en collaboration avec les socialistes. Et il faut souligner également le fait que le dictateur chilien ne donne pas lieu à un culte personnel revanchard, contrairement à ce qui se passe en Espagne dans certains milieux fanatisés. Si le virage à droite est incontestable, comme l’errance de la gauche sans projet, au Chili comme ailleurs le véritable enjeu reste la recomposition d’un système de partis proposant de véritables alternatives crédibles et enthousiasmantes à des populations déroutées par des évolutions technologiques et démographiques pas ou mal maîtrisées.
Renée FREGOSI*
(D’après TELOS)
Renée Fregosi est docteur en philosophie et en science politique. Elle a été maître de conférence habilitée à diriger des recherches à l’université Paris-Sorbonne Nouvelle de 2022-2020, après avoir été consultante internationale et avoir dirigé l’ISER, puis le département international du Parti Socialistes français.


