L’Équateur de Lenín Moreno subit une crise politique qui ne finit pas de s’aggraver

Le mardi 1er octobre, le président équatorien Lenín Moreno annonce par télévision et par radio la décision de l’exécutif de retirer les subventions sur les carburants. Cela déclenche instantanément une réponse d’extrême mécontentement au sein de plusieurs groupes sociaux du pays. Jusqu’au moment où les manifestations et protestations deviennent exponentiellement plus violentes. La situation mène le Président à déclarer l’état d’urgence, mesure qui peut durer constitutionnellement jusqu’à 30 jours et qui permet au Président d’employer les forces armées et policières, d’établir des zones de sécurité et de censurer la presse.

Photo : Teller Report

L’Équateur a une riche histoire de mécontentement auprès de mesures de hausses des prix des carburants. En 1997, Abdala Bucaram instaure des mesures économiques dont la hausse des prix du gaz et de l’essence, ce qui aboutit en grèves et soulèvements sociaux notamment des membres de la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (CONAIE) et le Président finit par être renversé. Trois ans après, le Président Jamil Mahuad, après une grave crise économique, met en place des mesures comme la hausse des prix des carburants et la congélation pendant un an de dépôts bancaires de plus de deux millions de Sucres (environ 500 USD à l’époque), ce qui mena à sa destitution un jour après avoir décrété la dollarisation le 21 janvier 2000 avec des mobilisations encore une fois de la CONAIE. Puis, en 2005, la situation se répète avec Lucio Gutiérrez qui est destitué après des soulèvements causés par plusieurs scandales et la hausse des prix des carburants en 2003, toujours avec le support de la CONAIE. Depuis 1996, aucun Président équatorien n’a réussi à finir son mandat, à l’exception de Rafael Correa (2007 – 2017).

En 2017, Lenín Moreno est élu avec l’appui de Rafael Correa mais se distance de son mouvement rapidement. Selon les mots de Moreno, il hérite d’un État plongé dans les dettes et mal géré. En février 2019, le gouvernement équatorien passe un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) pour des crédits d’une somme de 4 209 millions de dollars. Le premier octobre, Moreno annonce six nouvelles mesures économiques, dont l’élimination ou réduction des droits de douane sur des matériaux agricoles, l’augmentation de 15 dollars en aides financières qui toucheront 300 000 familles, et notamment la « libération des prix de l’essence et du gazole », c’est-à-dire l’élimination des subventions de la part de l’État sur ces produits, qui dépense environ 1,3 milliards de dollars par an pour ces subventions. L’essence appelée Extra passerait de 1,85 $ à 2,40 $, et le Diesel, de 1,03 $ à 2,30 $. Comme l’histoire l’indique, ces mesures ont été accueillies de manière très négative par les différentes sphères sociales équatoriennes.

Les manifestations commencent à avoir lieu le lendemain même de l’annonce du Président. Les protestations sont conduites par les secteurs du transport, les indigènes et les étudiants qui accusent le gouvernement de faire un paquetazo [1]. On plaide que l’élimination de ces subventions équivaut à une augmentation du prix du panier moyen, ce qui, dans un pays où le salaire minimum est de 394 $ (environ 358 €), représente un impact significatif.

Entre le 2 octobre et le jour de cette édition, les protestations ont augmenté en intensité et en violence. La capitale Quito devient progressivement un champ de bataille, avec déjà des morts comme résultat des confrontations entre manifestants et forces de l’ordre. Le jeudi 3 octobre, Moreno déclare dans tout le pays l’état d’urgence, comme réponse à la violence et au vandalisme enregistré dans la capitale. Ceci veut dire que le président peut employer la police et l’armée, peut censurer la presse et peut établir des zones de sécurité. Tout au long de la semaine, l’armée s’est mobilisée vers Quito et on a pu voir des soldats dans des voitures blindées dans les rues du centre historique. Tout de même, les manifestants ont déjà pu s’emparer d’une de ces voitures, à laquelle ils ont mis le feu. Des voies tout autour du pays sont bloquées par les manifestants, tout comme les voies d’accès au sud de Quito sont bloquées par la police à cause de la marche des indigènes qui viennent du centre-sud de la cordillère. La CONAIE annonce que le nombre d’indigènes qui se mobilisent est de 20 000.

On compte, au vendredi 4 octobre, 21 policiers blessés et 277 personnes arrêtées pour des actes de vandalisme, selon le ministre de la Défense, Oswaldo Jarrín. La nuit du 7 octobre, le Palais législatif et l’immeuble du Contrôleur de l’État ont déclaré qu’il y a eu des tentatives d’entrée afin d’endommager les locaux. Le Président, la même nuit du 7 octobre, a informé le pays qu’il se trouvait à Guayaquil et qu’il déménage le siège du gouvernement dans cette ville en disant que « ceci n’est pas une manifestation sociale de mécontentement face à une décision du gouvernement, mais que les pillages et la violence montrent qu’il y a une intention politique organisée pour déstabiliser le gouvernement, rompre l’ordre constitué, rompre l’ordre démocratique ». Il accuse, de plus, Rafael Correa d’agiter les masses qui seraient, selon lui, financées par Correa et ses acolytes avec l’argent qu’ils auraient volé.

Édition : On compte au 10 octobre une augmentation des confrontations violentes après que les manifestants indigènes ont pris le Palais législatif. Des universités proches au centre de Quito ont commencé à héberger les manifestants indigènes, notamment des femmes, des enfants, des gens âgés et des blessés. La nuit du mercredi 9 octobre, la Police nationale a lancé des lacrimogènes sur les espaces d’aide humanitaire et qui se qualifient comme « non-partidaires ». De plus, Lenín Moreno instaure le 12 octobre un couvre-feu sur tout le territoire national toute la journée et une militarisation de la ville de Quito. D’autre part, l’immeuble du Contrôleur de l’État, où se trouvent tous les documents des procès de corruption du gouvernement de Correa, a subit des incendies. Au moment de cette édition, le gouvernement et les groupes indigènes ont commencé des dialogues et on a proposé d’abroger le décret 883 et le remplacer avec un nouveau décret, après que Moreno se réunisse avec les dirigeants de la CONAIE le 13 octobre.

Nicolás BONILLA CLAVIJO


[1] Hausse des prix des produits basiques de la part du gouvernement.