Qui est Jair Bolsonaro, le favori des présidentielles brésiliennes comparé à Donald Trump ?

Jair Bolsonaro, candidat d’extrême droite, part favori pour le deuxième tour des présidentielles brésiliennes le 28 octobre. Avec 46% des suffrages exprimés, il a relégué loin derrière, lors du premier tour le 7 octobre dernier, Fernando Haddad, qui défendait les couleurs du Parti des travailleurs, et encore plus tous les autres, de droite comme de gauche. Le résultat a provoqué un choc émotionnel au Brésil comme partout. Un choc bien reçu par des médias jonglant en permanence avec les tremblements de certitudes, porteurs d’audience.

Photo : Diario Popular

Reste à proposer un kit explicatif qui tient la route. Et surtout qui accroche lecteurs-auditeurs-téléspectateurs. Qui est Jair Bolsonaro ? reprennent en cœur les médias du monde entier. La brutalité des va-et-vient médiatiques ne permet pas la complexité. Elle cherche à caser l’inconnu, aujourd’hui Bolsonaro, dans le prêt-à-porter journalistique. La référence Trump a été le recours majoritairement choisi sur l’étagère à tout faire des informateurs des «Temps modernes» normalisés.

Les plus militants, poussés par une urgence démocratique pressante, ont puisé dans la boite à outils des mobilisations d’hier. Ils se sont arrêtés à «fasciste». Bolsonaro donc serait fasciste. Certes le qualificatif est passe-partout. Mais il a le mérite d’éveiller des souvenirs historiques qui ont eu leur utilité en d’autres époques. Faute de temps, loin des réalités. Bolsonaro comme le fascisme ne passera pas. Dans un cas, comme dans l’autre, comparaison n’est pas raison.

Les clefs explicatives, plus qu’aux États-Unis et en Italie, sont au Brésil. Ces raccourcis mussoliniens et trumpistes sont sans doute suffisants aux médias qui tournent rapidement la page et passent à autre chose, traité avec la même désinvolture. Mais ils s’égarent quand on prétend défendre la démocratie, effectivement en péril au Brésil, et donc aussi chez nous. Relever le défi Bolsonaro passe d’abord par la case «comprendre». Comprendre impose un passage obligé par le tiroir Brésil.

Jair Bolsonaro est d’abord fils du Brésil. Un pays marqué par quatre siècles d’esclavagisme, d’inégalités indexées sur la couleur de peau. Selon l’institut de sondage Datafolha, les électeurs du capitaine à la retraite sont majoritairement blancs, riches, diplômés du secondaire et de l’université. Ils vivent dans le Sud aisé et moins noir du pays. La finance et les riches auraient préféré un candidat plus présentable. Mais à choisir entre un candidat «pétiste» démocrate, mais jugé trop enclin aux dépenses sociales, en faveur des noirs, Fernando Haddad, et un démocrate incertain et primaire, mais libéral en économie, c’est l’intérêt qui a primé. La bourse a salué la montée de Bolsonaro dans les sondages. Les milieux agro-exportateurs ont appelé à voter Bolsonaro. Dès l’annonce du résultat dimanche soir, le dollar a faibli et l’indice boursier Ibovespa a gagné 5 points.

Il n’y a pas de mystère. Le programme de Bolsonaro est aussi le leur : privatisations, indépendance de la Banque centrale, équilibre budgétaire dès la première année d’accession au gouvernement, baisse d’impôts, réorientation des programmes sociaux, basculement des retraites vers un système par capitalisation, renforcement du lien entre universités et secteur privé. Ces options ont permis à Bolsonaro de bénéficier d’un soutien médiatique massif. La presse, au Brésil bien plus qu’ailleurs, est d’abord une affaire d’argent. Depuis 2016, la presse a validé la fabrication d’un PT bouc-émissaire des malheurs du Brésil : crise économique, crise morale, corruption, criminalité. La presse a soutenu les auxiliaires judiciaires et militaires du coup d’État constitutionnel de l’establishment en cours depuis 2016.

Face à l’évidence de l’échec de leur candidat présidentiel, Geraldo Alckmin (PSDB), la banque, les agro-exportateurs, et leurs medias, les forces armées, ont in fine fait bloc derrière celui qui pouvait empêcher le retour du Parti des travailleurs… le retour de la démocratie sociale et intégratrice des années Lula et Dilma Rousseff, porteur d’augmentation d’impôts pour les plus riches.

Dans cette démocratie des apparences qu’est devenu le Brésil, les normes ont été décousues. La justice cible les personnalités du PT et, avec le soutien des élus du Congrès et du Sénat, protège les autres condamnables du MDB, du PSDB, de DEM. Le général en chef des forces armées a menacé les juges de la Cour suprême fédérale, tentés de libérer Lula, condamné sans preuves. Ils ont obtempéré et immédiatement recruté comme conseiller spécial le chef d’État-Major des armées. Les confessions pentecôtistes ont appelé à voter Bolsonaro pour défendre l’ordre moral et la famille chrétienne.

Conclusion, Bolsonaro se comporte en démiurge. Il refuse de participer à des débats contradictoires. Il privilégie à l’argumentation les affirmations brutales, unilatérales, démultipliées à l’infini par les réseaux dits sociaux. Et les «apparitions», sans contradicteur, sur la chaîne évangéliste Record de «l’évêque» Edir Macedo… Toutes choses bien loin de Trump, et de Mussolini, mais tout aussi préoccupantes pour le devenir de la démocratie.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY