Les candidats à la présidentielle oublient de parler de l’Amérique latine et ils ont tort

Le propos paraît incongru. Que viendrait faire l’Amérique latine dans l’élection présidentielle française de 2017 ? De fait aucun des candidats déclarés n’en avait parlé la première semaine d’avril. Rien sur les catastrophes naturelles de Colombie et du Pérou. Pas un mot sur les aléas démocratiques du Venezuela et du Paraguay. Rien sur les menaces de déstabilisation du processus de paix colombien. Silence sur les protestations sociales de masse en Argentine et au Brésil. Motus sur les discours anti-mexicains répétés du président des États-Unis, Donald Trump.

En d’autres temps les candidats manifestaient, fût-ce au détour d’un discours, d’un tract ou d’un entretien, un paragraphe, un mot consacré aux Amériques latines. C’était bien sûr le cas des années Mitterrand. Amérique centrale, Chili, portaient un petit bout du discours programmatique général, sur la paix, et la solidarité internationale. En 2006, Ségolène Royal avait lancé sa candidature de Santiago du Chili. Nicolas Sarkozy avait évoqué en 2007 les batailles démocratiques des Amériques. Jean-Marie Le Pen avait lui défendu la pertinence « d’une alliance de civilisation » avec les Amériques latines, foyer de valeurs occidentales et chrétiennes. Jean-Luc Mélenchon avait soutenu mordicus « l’idéal inépuisable de l’espérance humaniste, de la révolution » bolivarienne vénézuélienne.

En 2017, la diplomatie a été emportée par une avalanche électorale autocentrée. Exit donc avec l’Amérique latine, toute référence à un projet extérieur qu’il soit ambitieux ou minimal. Chômage, délocalisations, crise du monde agricole, évolutions du travail, place de la fonction publique, numérisation du travail et de la société, corruption, endettement, sécurité publique et terrorisme, ont accaparé le débat. Seule l’Europe a émergé quelque peu. Soit comme bouc émissaire de tous les problèmes, soit comme voie magique permettant de résoudre la « vastitude » des maux dont souffre la France. Pour être juste, ici ou là, on a vu en pied de page électoral quelques allusions ciblant des segments électoraux dument identifiés : la défense des chrétiens d’Orient, le risque terroriste, la question palestino-israélienne, un zeste de développement, un brin de Russie poutinienne.

Sic transit gloriam Gallae. L’absence de projet international pour le pays est peut-être le marqueur le plus significatif de la crise de la Vème République. Cette crise, de plus en plus évoquée, voire revendiquée, reflète l’affaissement d’un vivre ensemble. Les forces de la mondialisation déqualifient le français, langue de communication internationale et de travail. La dynamique bruxelloise accentue la « provincialisation » du français. Pourquoi pas ? Encore faudrait-il le dire et le justifier, alors que cela reste dans un déni collectif. Ici, on met en avant une réforme de l’Europe qui deviendrait plus sociale et plus ouverte à la diversité culturelle. Réforme effectivement nécessaire, mais dont on voit mal comment elle pourrait être mise en œuvre, dans le contexte politique qui est celui de l’Union européenne. Là on efface la réalité européenne pour vendre aux électeurs en souffrance la restauration d’une posture souveraine qu’il suffirait d’énoncer pour qu’elle se réalise.

L’Amérique latine a bel et bien valeur d’étalon diplomatique et politique. En effet depuis 1492, date de sa « découverte » par les Européens, elle aura été la périphérie contrôlée de siècle en siècle par les puissants du moment : aux XVIIe et XVIIIe siècles par l’Espagne et le Portugal, au XIXème siècle par le Royaume-Uni et au XXème par les États-Unis. L’abandon par Donald Trump du traité transpacifique voulu par son prédécesseur Barak Obama, et le relais immédiat proposé par le président chinois, Xi-Jinping, annonce sans doute une passation de suzeraineté. A toutes ces époques la France, consciente des enjeux, avait su garder un pied en Amérique latine.

La Ve République de 1958 qui portait un dessein extérieur fort avait fait une place à l’Amérique latine. Le général de Gaulle avait offert « la mano » de la France aux Latino-américains au cours d’un voyage continental effectué en 1964 du Mexique au Chili. François Mitterrand avait adressé en 1982 un message de liberté aux peuples d’Amérique latine au pied du monument de l’indépendance mexicaine. Jacques Chirac a le dernier soufflé sur les cendres de cette ambition en 2003. Il avait bloqué aux Nations unies toute autorisation militaire aux États-Unis en Irak avec l’appui des deux membres latino-américains non permanents du Conseil de sécurité, le Chili et le Mexique.

En 2009, la France, a déqualifié l’Amérique latine. Réintégrant l’OTAN, elle est entrée dans l’anonymat diplomatique. Son chef d’État prenant des vacances aux États-Unis, arborant à l’occasion une chemisette vantant les mérites de la police new-yorkaise, avait refusé de commenter la mort du dictateur Augusto Pinochet. Avec Ingrid Betancourt et Florence Cassez, il avait offert la Colombie et le Mexique ces années-là en boucs émissaires d’un quotidien de plus en plus gris. La France a pratiqué depuis et jusqu’en 2017 une diplomatie latino-américaine à voilure réduite, économique, assimilant le pays à une marque. L’interdiction du survol de l’espace aérien national par l’avion du président bolivien Evo Morales en juillet 2013 a spectaculairement matérialisé la portée du repli. Repli assumé le 21 mars 2017 par un ancien ministre des affaires étrangères qui, en prônant clairement la fusion des libéraux de droite et de gauche, a déclassé le logiciel d’une Ve République en solution de continuité. La France, en oubliant l’Amérique latine, a fait un lapsus révélateur. Celui de la disparition d’une ambition extérieure et au-delà, celui de la pertinence d’un projet collectif national.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY

Un article publié dans le Huffington Post et reproduit avec l’autorisation de l’auteur.