Ana Paula Maia :“Charbon animal”

Noir, noir, noir. Tout dans ce roman est noir et pourtant pas tout à fait désespéré. Ana Paula Maia, née en 1977 au sud du Brésil, se dit influencée par Dostoïevski et Schopenhauer et le prouve dans ce texte terriblement humain, saisissant de cruauté maîtrisée, de retenue malgré la brutalité de ce qu’elle décrit et raconte.

Ernesto et Ronivon sont deux frères qui vivent dans une petite ville minière du Brésil. Le premier est pompier, « le feu est la seule chose qu’il aime affronter », et il le fait naturellement, pourrait-on dire : adolescent, il a sauvé un de ses frères d’un des incendies qui ont touché leur maison. C’est peut-être de là que vient sa vocation. Le second n’a trouvé comme métier que d’incinérer les nombreux corps qui échouent au crématorium. Ana Paula Maia décrit leur vie quotidienne dans un style documentaire qui se révèle plutôt trompeur : sous la froideur assumée d’un texte distancié, affleure une sensibilité qui se cache pour mieux se diffuser et n’en être que plus forte. Ce qu’elle nous montre, ce n’est pas que l’horreur ordinaire, c’est surtout la condition de ces quelques personnes qui parviennent à vivre malgré tout. Ils sont soumis aux petites contrariétés (la voisine qui se plaint des dégâts commis par la chienne d’Ernesto) comme aux grands drames humains (un coup de grisou au fond d’une mine de charbon ou la désincarcération d’un blessé dans un accident de la route). Il n’y a pas de hiérarchie soulignée dans ces tracas, et il en est  de même pour les rapports humains : la chienne n’a pas moins d’importance pour Ernesto qu’un collègue croisé chaque jour.

La force énorme du livre vient bien de la façon de faire d’Ana Paula Maia, ce contraste entre la froideur des mots et des phrases (une froideur qui s’applique, paradoxalement, au feu et à ses conséquences) et la réalité des hommes, de leur corps et de leur esprit. En effet, si tout ce qui est dit a un rapport direct avec le corps, ses blessures, son avenir, après la mort, l’auteure ne parle en réalité que de l’esprit (de l’âme ?). Ce qu’elle dit ne peut donc que nous atteindre directement, nous laisser ébahis devant tant de talent.

Christian ROINAT

 

Ana Paula Maia : Charbon animal, traduit du portugais (Brésil) par Ana Anacaona, éd. Anacaona, 137 p.