Fabiola Ferrero : Coup de projecteur sur une photographe vénézuélienne en exil

Fabiola Ferrero, photographe et journaliste vénézuélienne est cette année la lauréate de la 12e édition, consacrée au Venezuela, du Prix Carmignac de photojournalisme. Son travail, exposé du 28 octobre au 22 novembre au Réfectoire des Cordeliers à Paris, remet en perspective la situation d’un pays anéanti par des années de crise politique et sociale.

Photo : Fabiola Ferrero

C’est un réservoir de pétrole mangé par la rouille, à demi englouti dans la mer. Une épave échouée à faible distance du rivage. C’est encore la maison en lambeaux d’un ancien ouvrier du pétrole, dans l’État de Zulia, au Venezuela, le portrait d’un pêcheur pensif face à l’océan… Toutes les images de Fabiola Ferrero, lauréate de l’édition 2022 du prix de photojournalisme, décerné par la Fondation Carmignac en France, racontent une histoire de désolation et d’abandon. Ce travail photographique est exposé à Paris du 28 octobre au 22 novembre prochain, sous le titre Venezuela, the Wells run dry. *

Cette “histoire“ qui ne fait plus beaucoup de bruit ces derniers mois, occultée par d’autres contingences internationales, est celle du Venezuela d’aujourd’hui, un pays autrefois riche, qui compte les plus grandes réserves mondiales de pétrole. Mais un pays où la crise politique et la férule d’un régime autoritaire ont, depuis 2015, laminé le tissu économique et social, conduisant à l’appauvrissement de la population, y compris des classes moyennes, et à une émigration massive. 

Une vitre embuée

Comme sept millions de ses compatriotes, selon les derniers chiffres de l’ONU, la photographe vénézuélienne Fabiola Ferrero a quitté son pays en 2020. « Jai vu mon pays en devenir un autre et mes souvenirs se brouiller, comme si je me regardais enfant à travers une vitre embuée », témoigne-t-elle. Mais depuis la Colombie où elle vit désormais, Fabiola, qui est également journaliste, n’a pas cessé de documenter la réalité de son pays. Avec la bourse que lui a offerte la fondation Carmignac, elle est repartie début 2022 au Venezuela et a sillonné cinq régions pour capter, plusieurs mois durant, la vie quotidienne des gens simples qui avaient, par le passé, un emploi dans l’industrie pétrolière ou les mines, une sécurité alimentaire et une vie normale. Et qui, dans l’œil de la photographe, apparaissent comme suspendus dans le temps, dans une attente indéfinie au milieu des décombres d’une prospérité passée. « Le sentiment dominant que je retire de ce travail, c’est celui d’une perte. La perte de la normalité, des choses que nous connaissions avant, la perte de tous ces gens qui sont partis loin. Tout cela produit comme un vide, une sensation de confusion et de deuil », explique la jeune femme de 31 ans. 

Effondrement et contrôle social

En quelques années, le Venezuela a basculé dans les pénuries, pénuries d’aliments, d’électricité et de gaz, dans l’effondrement de sa production pétrolière et minière faute d’investissements et d’encadrement qualifié, dans une hyperinflation indomptée…et dans un contrôle social permanent institué par le régime pour saper la contestation. Surveillance, détention, répression, délation, contrôle économique via les programmes d’aide alimentaire sont autant de réalités que les Vénézuéliens connaissent bien.

Si les chiffres de l’économie affichent une embellie cette année, c’est au prix d’une “dollarisation“ des échanges financiers, même les plus quotidiens, et d’un capitalisme à tout va qui ne profite qu’à une petite partie des 30 millions de Vénézuéliens. « Ce n’est bien souvent que grâce aux remesas (l’argent envoyé par les familles exilées), et, dans les États les plus précaires, en cultivant la terre pour subsister, que ceux restés au pays s’en sortent », constate Fabiola. 

Pauvreté et résistance

Selon une étude de l’Université catholique Andrés Bello à Caracas, effectuée en 2021, 9 personnes sur 10 sont désormais pauvres au Venezuela, et la classe moyenne a presque totalement disparu. En dédiant son travail à « ceux qui n’ont pu partir » et aux scories d’une industrie frappée d’inanition, Fabiola Ferrero met en images la fragilité d’un mirage économique qui s’est évanoui avec les accidents de l’Histoire. Comme se sont enfuis la sidération, « l’impact psychologique des débuts » que cet effondrement a provoqués, constate la photographe. « Aujourd’huiil y a dans les esprits comme une acceptation d’une situation qui s’est imposée. »

Depuis 2019 et les tentatives infructueuses de l’opposant Juan Guaidó, président autoproclamé et soutenu par une partie de la communauté internationale, de renverser le pouvoir de Nicolás Maduro« les gens ont un sentiment d’échec face à ce qui était un dernier espoir ». Pourtant, ajoute Fabiola, « ce que j’ai voulu montrer dans ces portraits, c’est aussi que la vie continue, qu’il existe un espace de résistance à l’adversité ». Depuis son exil, Fabiola Ferrero a créé Semillero migrante, un programme éducatif pour aider les jeunes, des deux côtés de la frontière entre la Colombie et le Venezuela, à construire un projet photographique sur le thème de la migration et à le faire connaître au public. Comme un signal de résistance à l’anonymat et à la résignation.

Sabine GRANDADAM

Venezuela, The Wells run dry, Fabiola Ferrero, du 28 octobre au 22 novembre au Réfectoire des Cordeliers, 15 rue de l’École de Médecine, 75006 Paris, et Port de Solférino, 75007 Paris. Entrée libre et gratuite.