Le Brésil de Jair Bolsonaro : une rude épreuve pour les principes démocratiques

La droite traditionnelle a manifesté son opposition au gouvernement dans les principales villes du pays, le 12 septembre, cinq jours après la massive manifestation en soutien au président d’extrême droite. À douze mois de l’élection présidentielle, « j’ai trois alternatives pour mon avenir : être arrêté, tué ou remporter la victoire », a déclaré l’ancien capitaine parachutiste, affaibli par une dégringolade dans les sondages et des enquêtes judiciaires.

Photo : Les Echos

Les enquêtes visant le chef de l’État portent sur la diffusion de fausses informations au sujet du système électoral. Alexandre de Moraes, juge de la Cour suprême, a ordonné la procédure après l’insistance des déclarations de Jair Bolsonaro mettant en doute la crédibilité du vote électronique mais sans apporter la moindre preuve. C’est une requête du Tribunal supérieur électoral (TSE) qui a déclenché la procédure pour « abus de pouvoir politique et économique […] dans ses attaques contre le système de vote électronique et la légitimité des élections de 2022. »

Le 21 août, Bolsonaro a réagi violemment contre cette décision de la Cour suprême en demandant au Sénat d’ouvrir une procédure de destitution contre le juge Moraes. Quelques jours plus tard, il a qualifié de « farce » le prochain procès électoral tout en appelant ses partisans à protester, le 7 septembre, contre ces piliers de la démocratie que sont le Congrès et la Cour suprême. Ce jour-là, des dizaines de milliers de « bolsonaristes » ont défile dans les rues du Brésil. Le plus grand rassemblement a eu lieu à São Paulo, capital économique et première mégalopole du pays, avec 125 000 manifestants selon la police.

Le même jour, plusieurs centaines d’opposants au gouvernement sont aussi descendus dans la rue pour demander la destitution du président. « Fora Bolsonaro ! » (Dehors Bolsonaro !) était le slogan scandé par celles et ceux qui accusent le président de préparer un crime contre la démocratie. Car le cauchemar du retour de la dictature (1964-1985) est toujours présent. Ainsi, cinq jours après la massive mobilisation pro-Bolsonaro, le dimanche 12 septembre une nouvelle manifestation a été organisée par les groupes de la droite traditionnelle. Mais, si ces derniers mois des dizaines de milliers de participants ont protesté contre le gouvernement, l’ampleur des manifestations de dimanche dernier est restée limité sans la participation du grand parti des Travailleurs (PT).

Ce manque de soutien du PT n’est pas surprenant. Car les organisateurs de la manifestation, parmi lesquels le Mouvement Brésil Libre (MBL) et Vem Pra Rua (VPR), prétendent incarner une « troisième voie » pour l’élection de 2022 sous le slogan « Ni Bolsonaro ni Lula ». En outre, ce sont ces mêmes partis qui avaient obtenu la destitution, en 2016, de la présidente Dilma Rousseff (PT), dauphine de Luiz Inacio Lula da Silva. Justement, dans la troisième démocratie la plus peuplée de la planète, tout le monde attend impatiemment l’annonce de candidature de celui que Barack Obama considérait comme « l’homme politique le plus populaire de la terre ». Or l’ex-président (2003-2010), avait annoncé son retrait de la vie politique. Rappelons que le nommé « Lula » avait été condamné pour corruption en 2017, mais en mars dernier, après avoir passé près de deux ans en détention, la Cour suprême du Brésil a annulé ses condamnations et rétabli ses droits politiques. Dès sa sortie de prison, il avait semé des doutes sur son retour à cause de son âge, mais le triomphe du bientôt quadragénaire Joe Biden aux États-Unis semble lui avoir donné de nouvelles ailes : « je pensais qu’à 75 ans, je serais vieux, mais je me suis rendu compte que je suis jeune à 75. Après la victoire de Joe Biden à l’âge de 78 ans, je me suis dit : pourquoi ne pas me présenter au Brésil ? »

La réponse à cette question, d’après les sondages, était évidente. En juillet dernier, Lula a carrément déclaré : « je suis totalement disponible pour être candidat à la présidence du Brésil. » C’est ce qu’attend 40 % de l’électorat prêt à voter pour lui, contre 24 % favorable à Jair Bolsonaro. 51 % des Brésiliens se disent mécontents de la gestion de l’actuel président, considérée comme « mauvaise », voire « terrible ». Ce jugement découle surtout de la négligente stratégie de lutte contre la pandémie. Ainsi une série de scandales concernant l’achat de vaccins, et la diffusion de fausses informations, sont à présent la cible des enquêtes criminelles en cours. Les décès liés à la Covid-19 dépassent le chiffre de 580 000 personnes au niveau national. L’élection de l’an prochain se présente donc avec un horizon très incertain. Surtout par le fait que ces dernières semaines M. Bolsonaro, se sachant condamné d’avance, fait planer une réelle menace sur la réalisation du scrutin. C’est un véritable tour de force qui est en train de se jouer : à plusieurs reprises, le gouvernement a menacé d’annuler l’élection si le Congrès n’approuvait pas les reformes du système électoral. Les diatribes de Bolsonaro contre ce système, considéré pourtant comme l’un des plus fiables au monde, trouve cependant un écho favorable parmi la population (46 % soutienne la réforme).

Sur le plan international, après l’appel du président à manifester dans la rue contre la Cour suprême et le Congrès, beaucoup estiment que la démocratie brésilienne est en danger. « Ce qui est le plus inquiétant, ce sont ces discours du président contre des institutions démocratiques, notamment la Cour suprême, du jamais vu depuis le retour de la démocratie après la dictature militaire de 1964-1985 », déplore le politologue Mauricio Santoro. Sur ce point, M. Bolsonaro avait considéré la marche de soutien à sa gestion comme un « ultimatum » pour la Cour suprême, en évoquant la possibilité d’une « rupture » institutionnelle. Dans ce contexte de pression extrême aux allures de coup d’État, le dirigeant du parti la France insoumise Jean-Luc Mélenchon, le philosophe et linguiste états-unien Noam Chomsky, l’ex-premier ministre espagnol José Luis Zapatero et plus de 150 intellectuels et personnalités politiques de 26 pays ont dénoncé dans une lettre ouverte, le lundi 6 septembre, une « menace imminente sur la démocratie brésilienne » : « Le président Jair Bolsonaro et ses alliés – parmi lesquels des groupes suprématistes blancs, la police militaire [équivalent de la gendarmerie] et des représentants publics à tous les échelons du gouvernement – préparent une marche nationale […] alimentant les craintes d’un coup d’État. »

Le soir même, à la veille de la fête de l’indépendance nationale, les exactions commises par les partisans du président rappellent les dernières heures chaotiques du mandat de son idole Donald Trump : des camions et d’autres véhicules transportant des centaines de bolsonaristes ont forcé les barrières de sécurité avec la nette intention d’envahir la Cour suprême et le Congrès. Ces attaques sont la suite logique de la tension qui monte depuis plusieurs semaines. Ainsi le 10 août, en guise d’intimidation, M. Bolsonaro a organisé une parade militaire sans précédents dans la capitale Brasilia, au nez même de ces institutions sacrées pour la démocratie. Cela se passait au moment même où ses alliés au Congrès tentaient de faire adopter les réformes du système électoral réclamées par le gouvernement d’extrême droite. Une situation délétère qui rappelle ces anciens mots : « Que les armes cèdent à la toge ». Jair Bolsonaro résistera-t-il longtemps à la tentation de retourner le sens de la pensée de Cicéron ?

Eduardo UGOLINI