Une date clé pour le Pérou : le 6 juin sera élu le nouveau président du pays andin

Au cours des cinq dernières années, une crise politique sans précédents, liée à la grande affaire de corruption dite « Lava Jato », a provoqué le changement de quatre présidents péruviens et deux parlements. Depuis 2001, tous les présidents ont tissé des relations crépusculaires avec l’entreprisse Odebrecht. C’est dans ce contexte d’incertitude que les Péruviens, lassés par la politique, se rendront aux urnes pour renouveler leur Parlement et choisir entre un professeur d’école rurale ou le retour du Fujimorisme.

Photo : Sol Lima

Après avoir atteint la première et la deuxième place aux élections générales du 11 avril, le 7 mai certains sondages créditaient le candidat de Pérou Libre de douze à vingt points d’avance sur la candidate de la droite populiste Keiko Fujimori. Mais cette dernière semaine, l’écart s’est considérablement rétréci. La dernière enquête issue d’ El Comercio-Ipsos donne à l’enseignant de gauche 40 % d’intention de vote, alors que la candidate de Fuerza Popular obtiendrait 37 %. D’autres sondages confirment que Pedro Castillo conserve un léger avantage compris entre deux et trois points de pourcentage. Selon le politologue Omar Awapara, Fuerza Popular a réussi à « recueillir plus de votes des indécis », ce qui explique la croissance de Fujimori. « Keiko Fujimori joue le rôle du ‘’moindre mal’’ et ceux qui ne se sont pas sentis enclins à voter pour elle au premier tour ou aux premiers sondages, maintenant ils le font ». Toutefois, Awapara et d’autres analystes s’accordent à dire qu’une « activation » de l’anti-Fujimorisme pourrait être décisive.

Sur ce point, l’image de la candidate de droite sortant de prison en décembre 2019, après avoir purgé treize mois de détention provisoire, est toujours d’actualité. Depuis 2018, elle fait l’objet d’une enquête, accusée de diriger une organisation criminelle spécialisée dans le blanchiment d’argent. En mars 2021, le procureur anticorruption a requis à son encontre 30 ans et dix mois de prison. Selon cette enquête, elle aurait touché 1, 2 millions de dollars du géant brésilien du BTP Odebrecht.

Or si Fujimori remporte les élections, son procès devrait se poursuivre jusqu’à la fin de son mandat. Ainsi, cette campagne pour la présidence peut une fois de plus être considérée comme la quête de ce qui est devenu le graal de beaucoup des responsables politiques latino-américains : l’immunité judiciaire. Et si un quart des électeurs péruviens voterait blanc ou nul à seulement dix jours du scrutin (selon un sondage Ipsos), ce désintérêt s’inscrit notamment dans un processus de rejet de l’ensemble de la classe dirigeante. « Toute la classe politique, de droite à gauche, a touché des pots-de-vin », affirme Alberto Vergara, professeur du département de sciences sociales et sciences politiques à l’université du Pacifique, à Lima.

Du côté de Pedro Castillo, cet instituteur novice en politique, le programme de son parti Pérou Libre peut être résumé sous le concept de « Nouveau Pérou ». C’est ce qu’il laisse entendre à longueur de ø discours. Mais que recouvre exactement cette idée de renouvellement ? La démocratie sera-t-elle consolidée ? Cela semble difficile à dire, certaines propositions laissent entrevoir une dérive autoritaire. Dans un article intitulé « Au Pérou Libre, il n’y a pas de proposition démocratique », Álvaro Vargas Llosa a affirmé que le parti du candidat de gauche « n’a pas de proposition soumise à la Constitution ou une proposition qui puisse être développée dans le cadre juridique. » Le « projet révolutionnaire » de Castillo, selon les mots de l’écrivain et journaliste, a un double objectif : « détruire les institutions républicaines et démocratiques et aussi instituer un régime permanent au Pérou, afin que ces messieurs [Castillo et ses acolytes] deviennent les maîtres du pays ».

Vargas Llosa rappelle les propos tenus il y a quelques mois par Guillermo Bermejo. Ce membre du Congrès virtuel de Pérou Libre avait déclaré, dans une émission audio de Willax, à propos de l’arrivée de son parti au pouvoir : « nous n’allons pas le quitter » et « Avec tout le respect que vous et vos conneries démocratiques méritez, nous préférons rester pour établir un processus révolutionnaire au Pérou ». D’autres membres importants de ce parti, comme la porte-parole Zaira Arias, se sont exprimés dans ce sens quelques jours après le premier tour en avril dernier. En outre, Pedro Castillo a refusé de qualifier le régime vénézuelien de « dictature ».

Interrogé sur « les dangers d’une administration Pérou Libre », Álvaro Vargas Llosa a dit : « Comment arrêter un groupe de politiciens qui sont absolument déterminés à convoquer un référendum et à pouvoir ensuite installer une assemblée constituante, liquider le Parlement et faire une nouvelle Constitution à leur convenance. Ce sera un ouragan qui sera imparable dans les premiers mois. Je l’ai vu, c’est arrivé avec Hugo Chávez, au Venezuela ; avec Evo Morales, en Bolivie ; avec Rafael Correa, en Équateur, et pour moitié avec les Kirchners, en Argentine. »

Le soutien de Álvaro Vargas Llosa à Keiko Fujimori peut expliquer la critique virulente adressée au parti qui est légèrement en tête dans les intentions de vote. Son père, le Nobel de littérature Mario Vargas Llosa (2010) et ancien candidat malheureux à l’élection présidentielle (1990, 37 % au deuxième tour) avait, lui aussi, apporté son soutien à la candidate de droite avant de se rétracter : en avril 2011, face à la perspective d’un second tour de la présidentielle opposant Keiko Fujimori à Ollanta Humala, il n’a pas hésité à dire : « c’est devoir choisir entre le cancer et le sida. » L’écrivain ne s’est pas trompé au sujet Humala (affaire Odebrecht) ; en ce qui concerne la fille de l’ancien président, il faudra attendre la suite des événements pour savoir s’il a fait preuve d’une redoutable clairvoyance.

Eduardo UGOLINI