En 2019, le Mexique atteint des records de violence, les chiffres font froid dans le dos

Cela devient une triste habitude. Début janvier, le Secrétariat national de Sécurité publique publiait les chiffres d’assassinats pour l’année 2019 sur le territoire mexicain. Les chiffres font froid dans le dos : avec près de 35 000 cas d’homicides et de féminicides, 2019 atteint un nouveau sommet historique dans l’horreur. Un échec pour le président López Obrador, bien en mal de justifier ces niveaux de violence.

Photo : Cuartos Oscuros

34 582. C’est le nombre de personnes assassinées l’année dernière au Mexique. Pour donner un ordre de grandeur, c’est l’équivalent d’une ville comme Biarritz ou Montélimar, décimée, en un an. Une augmentation de 2,5 % des crimes par rapport à l’année 2018, qui était, à son tour, déjà la plus violente jamais enregistrée dans l’histoire récente mexicaine. Pour retrouver des chiffres pareils, il faut remonter à l’époque de la révolution mexicaine ou de la guerre de Cristera. À des temps de guerre, donc.

Depuis 2006, et le début de la guerre contre les narcotrafiquants lancée par le président Felipe Calderón, la violence dans le pays a atteint des niveaux inouïs et certaines régions peinent à être contrôlées par l’État. Sous la présidence de Peña Nieto, la violence a en effet explosé : entre 2014 et 2019, on dénombre 93 % d’assassinats en plus et 136 % de féminicides supplémentaires. Incapable de briser cette spirale de violence, son parti, le PRI, parti presque hégémonique dans le pays, s’était effondré aux dernières élections nationales pour laisser la place au candidat de Morena, Andrés Manuel López Obrador. Élu sur une promesse de réformer la sécurité du pays, les premiers résultats peinent à porter leurs fruits.  

Les chiffres sont sans appel : en 2019, il y a eu 97 homicides par jour et lors de la dernière décennie, une personne était assassinée toutes les 23 minutes au Mexique. Le rapport montre également une hausse des enlèvements et des extorsions (+ 3,5 %). Plus inquiétants encore sont les chiffres de féminicides qui s’envolent pour dépasser la barre des mille cas l’année dernière. Le Mexique compte aussi un nombre important d’homicides sur des journalistes (10 rien qu’en 2019, un record mondial) et des activistes sociaux et environnementaux (12 l’année dernière).

Malgré ces chiffres, le président López Obrador s’est voulu rassurant et promet que l’année prochaine, le peuple mexicain pourra voir les résultats de ses dernières réformes en matière sécuritaire. Selon lui, si les chiffres de l’année dernière restent terribles, la violence a été néanmoins « freinée dans son expansion » (à titre de comparaison, en 2017 et 2018 la violence avait augmenté respectivement de 28 et 16 %). 

D’autre part, ces chiffres mettent en lumière les disparités régionales de la violence. En effet, 65 % des crimes sont commis dans dix États du pays. En tête du funeste classement, on retrouve Guanajuato, Estado de México, Michoacán, Jalisco et Baja California. Quant à Colima, il devient l’État le plus violent avec un taux de 275 homicides pour 100 000 habitants. À Guanajuato, où les cartels de Jalisco Nueva Generación et de Santa Rosa de Lima s’affrontent pour le contrôle sur le vol de combustible, les enlèvements et extorsions, il y a eu 3 540 assassinats en 2019.

Les affrontements entre cartels pour le contrôle de nouveaux territoires expliquent donc une partie de la violence mais elle s’explique aussi par la diversification dans leurs activités illicites, via le développement des vols de combustible ou encore des kidnappings. Le troisième élément à prendre en compte est l’expansion du trafic d’armes en provenance des États-Unis, qui explique pourquoi 70 % des homicides ont été perpétrés avec des armes à feu, alors que c’était le cas pour 29 % des homicides quatre ans auparavant.

Si le président López Obrador a hérité d’une situation particulièrement calamiteuse, il avait néanmoins promis de s’attaquer aux racines de la violence, en éradiquant la corruption en col blanc et dans les corps de police. Pour mener ce combat, le principal levier du gouvernement réside dans le blocage des comptes bancaires liés au blanchissement d’argent et autres activités illicites. L’année dernière, l’accès à 5 160 millions de pesos mexicains (249 millions d’euros) a ainsi été gelé.

En investissant dans des politiques sociales, le plan présidentiel entend réduire les inégalités qui poussent certaines franges de la population à la délinquance. « Tout ceci a une explication, pas une justification. On a laissé le problème de l’insécurité et de la violence prendre beaucoup d’ampleur, on ne s’est pas attaqué aux causes, on a abandonné l’activité productive, on n’a pas créé d’emplois, les salaires au Mexique sont également les plus bas du monde, la corruption au Mexique est l’une des plus élevées du monde, les jeunes sont abandonnés, on a imposé la protection et l’impunité, il n’y a pas d’autorité, il n’y a pas de ligne de démarcation entre l’autorité et le crime », a-t-il déclaré à ce sujet lors de sa dernière conférence de presse matinale.

Mais les prévisions pour les prochaines années laissent peu de place à l’espoir. La capture et la libération dans la foulée du fils du célèbre trafiquant El Chapo Guzmán en octobre dernier sont une démonstration de plus que l’État mexicain n’est plus à même de garantir la vie de ses citoyens et certains territoires ne répondent plus aux contrôles nationaux. Comme mesure immédiate, AMLO a misé tous ses pions sur un succès de la nouvelle Guardia Nacional,  un nouveau corps de sécurité constitué et dirigé essentiellement par les forces armées. Mais celle-ci a rapidement été redéployée aux frontières sud et nord du pays, afin d’y contenir l’entrée de migrants en provenance d’Amérique centrale.

Ce décalage dans l’ordre des priorités donne l’impression que ces chiffres ne sont pas pris au sérieux et que les différents gouvernements sont totalement dépassés par la situation. Ces statistiques sont traitées de façon comptable, faisant abstraction de la détresse humaine qu’elles cachent. López Obrador considère le sujet comme « una asignatura pendiente » (« un sujet en suspens ») de son gouvernement alors qu’il devrait être l’objet d’une préoccupation de chaque instant. La violence inonde les médias mexicains quotidiennement au point de s’être banalisée. Pendant ce temps, l’État continue de consacrer à peine 0,9 % de son PIB dans la sécurité nationale alors que la moyenne de l’OCDE est de 3 %. De plus, les sombres prévisions économiques du pays font planer l’ombre de nouvelles coupes budgétaires sur les fonds destinés aux enjeux sécuritaires. En 2019, les subsides pour la sécurité publique dans les municipalités ont été rabotés de 23 % et le Fonds de contributions à la Sécurité publique de 2 %, tendance qui devrait être maintenue cette année. Dans une récente conférence de presse, le nouveau président affirmait qu’aucun problème de son pays ne l’empêchait de dormir. Ces derniers chiffres devraient néanmoins être la source de nombreuses insomnies tout au long de son mandat.

Romain DROOG