La couverture de Je suis l’hiver est superbe, elle prédit parfaitement l’ambiance qui règne dans le nouveau roman de l’Argentin Ricardo Romero. Ouvrons le livre, nous ne serons pas déçus : tout y est mystérieux mais palpable, les personnages tellement humains qu’ils nous sont tour à tour étrangers et proches, et ce qui pourrait être une enquête policière prend des allures de quête morale. Ouvrons le livre et découvrons un roman d’une originalité fascinante.
Photo : éd. Asphalte
Pampa Asiain est un garçon timide, et même secret, on pourrait dire un frère très proche de Meursault, l’étranger d’Albert Camus. Son enfance n’a pas été heureuse, son père le battait et battait sa mère, à 22 ans il rêve de ne pas exister. Il a malgré tout réussi l’examen d’entrée dans la police et, pour son premier poste, il se retrouve dans un coin isolé, Monge, un village de 200 habitants. Au cours d’une mission de routine, il découvre une jeune femme pendue à un arbre, dans une forêt déserte et, sans bien savoir pourquoi, il ne donne l’info à personne. Parfois, pour respirer un peu, il va dans un silo désaffecté et chante ‒ mal ‒ en jouant ‒ mal ‒ de la guitare, timide et secret, je le disais. D’autres fois, pour respirer un peu, il va dans un endroit isolé pour tirer avec son Beretta. Il est très doué pour ça, mais il le garde pour lui, en plus il n’aime pas les armes, trop de bruit, trop de danger.
Peu à peu le narrateur présente la vie très lente du village où rien ne se passe, où une chute de neige est l’événement du mois, il présente aussi quelques habitants de Monge et peu à peu il nous fait connaître qui était la victime. Décrits par lui, ces gens d’une banalité extrême prennent une intensité inattendue. Le ton, extérieur, détaché, renforce l’atmosphère feutrée de ce lieu trop calme.
Chacun des chapitres ajoute un nouveau personnage à ceux qu’on connait déjà, composant une sorte de symphonie tragique au cours de laquelle Pampa et les autres protagonistes se découvrent à nous, prennent de la profondeur pendant que l’action avance par bonds successifs, que les surprises brisent la banalité des hommes et des femmes qui agissent souvent hors de la logique, dans leur logique, immergés dans un univers cotonneux, fait de pures sensations. Ce que nous lisons devient à la fois fantasmagorique et tout à fait réaliste, à la fois flou et limpide, d’un gris clair ou foncé, envoûtant.
Peut-on devenir le héros (mais quel genre de héros ?) de roman quand on a toujours vécu dans la banalité la plus décourageante ? Ricardo Romero démontre brillamment que c’est possible avec ce roman, l’un des romans les plus troublants depuis longtemps.
Christian ROINAT
Je suis l’hiver de Ricardo Romero, traduit de l’espagnol (Argentine) par Maïa Muchnik, éd. Asphalte, 208 p., 21 €. Ricardo Romero en espagnol : Yo soy el invierno sera publié en espagnol par les ed. Alfaguara en 2021. Ricardo Romero en français : Histoire de Roque Rey, éd. Le Seuil.