Le Brésil, grand vainqueur du Festival de Biarritz 2019 avec « La Fièvre » de Maya Da-Rin

Le festival Biarritz Amérique Latine vient de se terminer avec encore une victoire pour le cinéma brésilien. Après le prix pour Bacarau obtenu à Cannes en mai, la Concha de Oro à San Sebastián et deux autres prix pour Pacificado de Paxton Winters, c’est La Fièvre (A Febre) de Maya Da-Rin, (Brésil, France, Allemagne) qui obtint l’Abrazo du meilleur film. Le Prix du jury et celui du Syndicat Français de la Critique de Cinéma ont été décernés à La Vie invisible d’Eurídice Gusmão (A Vida invisível de Eurídice Gusmão) de Karim Aïnouz, (Brésil, Allemagne).

Photo : Allociné

Dans La fièvre, Justino, un amérindien Desana de 45 ans, est agent de sécurité dans le port de Manaus. Alors que sa fille se prépare à étudier la médecine à Brasilia, Justino est pris d’une fièvre mystérieuse. Maya Da-Rin n’était pas à Biarritz car elle vient de mettre au monde des triplés. Au Festival de Locarno où Regis Myrupu qui joue Justino avait obtenu le prix d’interprétation, elle avait déclaré à Cineuropa : « L’idée est née pendant le tournage de mes deux documentaires en Amazonie. J’ai rencontré plusieurs familles autochtones qui avaient quitté leurs villages pour s’installer en ville. Donc, d’une certaine manière, mon point de départ s’ancre dans des histoires vraies. Mais ce qui m’intéresse le plus avec ces histoires, c’est qu’elles mettent en scène des personnes que j’ai peut-être rencontrées dans mes activités quotidiennes. Nous savons que le cinéma a une propension à rendre exotique les peuples indigènes. Ils sont souvent perçus à travers un prisme romantique et positif. Cela dit, le projet initial était bien différent, par rapport au résultat final. Il a fallu six ans de travail acharné et d’innombrables voyages à Manaus avant de pouvoir commencer le tournage ». L’acteur Regis Myrupu n’est pas professionnel.

Il a postulé presque par hasard pour le rôle, car c’est un chaman. Il y a contraste dans le film entre la vie dans la forêt où les personnages sont au milieu de la nature, et le travail au port au milieu des containers. De même, la façon de traiter cette fièvre ne sera pas possible pour sa fille, qui pratique la médecine occidentale. Un film magnifique dont la date de sortie en France n’est pas encore fixée. Le film sera projeté à Paris à la Cinémathèque française le lundi 14 octobre à 19 h 30.

Tout autre est La Vie invisible d’Eurídice Gusmão (A Vida invisível de Eurídice Gusmão) de Karim Aïnouz, présenté à Un certain regard à Cannes. Dans les années 1950 Eurídice et sa sœur Guida sont inséparables. Mais Guida va suivre un marin grec et lorsqu’elle reviendra enceinte, elle sera rejetée par ses parents. Eurídice veut entrer au conservatoire en classe de piano, mais mariée à un comptable, elle ne pourra exercer son talent. Les deux sœurs ne se rencontreront jamais. Adapté librement d’un roman de Maria Bethana, Aïnouz a déplacé le récit aux années 1950, avant le mouvement de libération des femmes. Elles sont soumises : la mère ment pour être en accord avec son mari, émigré portugais. Eurídice ne pourra jamais entrer au conservatoire. Seule Guida trouvera avec une femme noire qui garde les enfants un certain équilibre. Un très beau mélodrame sur lequel nous reviendront au moment de sa sortie prévue en décembre.

Le Prix du public a été décerné à La Llorona, le troisième film de Jayro Bustamante (Guatemala, France).

Même s’il parait différent des deux autres films, Ixcanul et Tremblements, Jayro Bustamente a voulu s’attaquer aux trois mensonges de la société guatémaltèque, concernant la vie des indiens Maya, le poids de la famille par rapport à l’homosexualité, enfin le pouvoir prêt à exterminer la population indienne. Un vieux général qui va passer en jugement pour génocide entend la pleureuse (la Llorona) la nuit. Bien entendu, il sera acquitté. Un jour une nouvelle domestique arrive car tous sont partis sauf une qui est là depuis vingt ans. Est-ce elle la Llorona ? car selon la légende seuls les coupables l’entendent pleurer. Pour tourner les scènes de manifestations, Jayro s’est appuyé sur l’association H.I.J.O.S. qui recherche toujours les disparus, car l’État ne fait rien. Le film devrait sortir au début 2020.

Nous avons présenté Litigante e Franco Lolli (Colombie) qui a fait l’ouverture de la Semaine de la Critique cannoise. Il sortira en France en décembre sous le titre Une mère incroyable : l’histoire d’une avocate, mère célibataire qui trouve l’amour au moment où sa propre mère meurt. L’exigence formelle transcende le cadre réaliste de son récit pour atteindre le plus profond des êtres, au cœur des émotions les plus vives et les plus pures. Sortie prévue prochainement.

Le film péruvien Canción sin nombre, de Melina León, (Pérou, Espagne, Etats-Unis) a obtenu la Mention spéciale du jury : Pérou, au plus fort de la crise politique des années 80. Georgina attend son premier enfant. Sans ressources, elle répond à l’annonce d’une clinique qui propose des soins gratuits aux femmes enceintes. Mais après l’accouchement, on refuse de lui dire où est son bébé. Décidée à retrouver sa fille, elle sollicite l’aide d’un journaliste qui accepte de mener l’enquête. C’est un film très simple tourné en noir et blanc.

La Broca (Pérou) des frères Daniel et Diego Vega (Pérou, Espagne, Colombie). Début des années 90 : Roberto quitte le Pérou plongé dans la violence pour rejoindre son père immigré et installé à Montréal avec sa nouvelle famille canadienne. Le père s’efforce de montrer à son fils sa meilleure version du rêve américain. Le film se passe entièrement à Montréal en hiver. Encore un film sur la famille. Ici ce sont les rapports père-fils qui sont mis en avant ; dans d’autres films, ce seront les rapports père-fille. La Broca laisse un bon souvenir après sa vision.

En ce qui concerne les courts métrages le jury a remis le Prix du meilleur court-métrage : O Mistério da carne de Rafaela Camelo, (Brésil) qui raconte la vie d’un dimanche. Le Prix du meilleur documentaire est allé à La Vida en común d’Ezequiel Yanco (Argentine, France) qui dépeint la vie d’une communauté indigène dans les plaines désertiques occidentales de l’Argentine alors que rode un puma. Le Prix du public a récompensé La Búsqueda de Daniel Lagares et Mariano Agudo, (Pérou, Espagne) ; trois personnes vivent encore dans la peur au Pérou vingt ans après la fin du conflit armé entre le Sentier Lumineux et l’État péruvien.

Il y eu aussi un focus sur la Patagonie, le portrait d’un cinéaste expérimental brésilien Julio Bressane, quelques avant-premières comme La Cordillère des Songes de Patricio Guzmán, qui sortira le 30 octobre. Le Festival c’est aussi les rencontres littéraires avec Cristian Perfumo, Mempo Giardinelli et Jorge Volpi, l’hommage à Francisco Coloane et une conférence de Néstor Ponce sur crime et littérature en Amérique Latine, sans oublier les rencontres de l’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine. Et puis il y avait le village avec ses stands d’artisanat, de spécialités culinaires, de cours de danse et des concerts. Après une journée d’ouverture maussade, le Septeto Santiaguero de Cuba a réussi à faire danser les 1 000 personnes de la salle de la gare du Midi. Une belle édition très sympathique avec plein de spectateurs satisfaits.

Alain LIATARD