Élections présidentielles en Argentine le 27 octobre : l’opposition de gauche en tête

Mauricio Macri a subi une lourde défaite, le 11 août dernier, face au candidat péroniste Alberto Fernandez. Le président sortant paie ses réformes draconiennes de l’État providence hérité du kirchnerisme. Un espoir de changement avec un arrière goût d’incertitude économique et politique.

Photo : Augustin Marcarian – Reuters

Trois ans et demi après son investiture, malgré les féroces augmentations d’impôts et les réductions des subventions aux services publics, M. Macri compte avec 32 % des voix. Il lui reste deux mois pour tenter de rallier les indécis à sa cause, et il joue son va-tout pour mobiliser l’opinion publique, et cela avec des mesures qu’on pourrait qualifier comme son chant du cygne. Car, bien que des dizaines de milliers de personnes aient manifesté leur soutien au président, le 24 août, il sait qu’il est condamné d’avance. En effet, tous les sondages prévoient une victoire de son adversaire dès le premier tour : l’alliance d’opposition Frente de Todos, avec la formule Alberto Fernandez-Cristina Kirchner, a recueilli 47,65% des voix. 

Ce scrutin-châtiment pour Macri donne de l’oxygène à l’ex-présidente et candidate à la vice-présidence Mme Kirchner, inculpée dans plusieurs affaires pour corruption, et soupçonnée d’association illicite et de fraude à l’État. Ainsi, l’avenir de l’Argentine ne dépend pas de ce seul résultat. La campagne, en dépit des manifestations pro/contre le gouvernement Macri, a mis en évidence et plus que jamais une crise de confiance dans l’avenir que la suite des événements risque d’aggraver. 

Car quel que soit le résultat des primaires, une certitude est acquise : il ne faut pas attendre les prochaines élections pour savoir s’il y a lieu de s’inquiéter ou de se réjouir. Le vainqueur des primaires, Alberto Fernandez, était l’ex-chef du gouvernement de Nestor puis de Cristina Kirchner, et beaucoup le considèrent comme un ersatz monté de toutes pièces par l’ex-présidente. Son propos est copié sur le même modèle : «Je suis persuadé que nous avons commencé aujourd’hui à construire une nouvelle histoire» a-t-il dit après sa victoire, comme un écho de ce propos tenu par Mme Kirchner en 2003 : «L’Argentine débute un nouveau cycle historique», et elle avait ajouté que le péronisme pouvait incarner le renouveau politique dans son pays. 

Seize ans plus tard, ce «renouveau politique» est incarné par les mêmes dirigeants qui ont laissé le pays, en 2015, au bord du gouffre économique et social avec une augmentation de 100 % de la dette publique. Cela a été le cas des autres expériences populistes qui ont vidé les caisses de l’État : le Péronisme, le Ménémisme (l’une des périodes les plus corrompues qu’a connu l’Argentine, à l’origine de la terrible crise de 2001), avant l’expérience kirchneriste qui s’est soldée avec plusieurs procès en cours, parmi lesquels celui d’Amado Baudou, le premier vice-président condamné et emprisonné pour corruption de l’histoire argentine (il attend la victoire du candidat péroniste pour que celui-ci réexamine les décisions de la justice, tel que l’a laissé entendre Alberto Fernandez pendant la campagne). 

Aussi, beaucoup voient dans la formule A. Fernandez-C. Kirchner une façon de faire profil bas pour l’ex-présidente, dans une stratégie qui rappelle ce qui s’est passé en Russie avec le tandem Poutine-Medvedev. À cela s’ajoute un détail qui peut passer inaperçu : ceux qui se méfient de cette formule évoquent les soucis de santé du candidat Alberto Fernandez quelque temps avant les primaires, d’où ce commentaire qui circule selon lequel, après six mois de présidence, il démissionnera pour laisser sa place à Mme Kirchner.

En tout cas, M. Fernandez a déjà lancé ses premières propositions populistes bas de gamme. Des mesures peu crédibles dans n’importe quel pays sérieux, à savoir la gratuité des médicaments pour les retraités et une hausse des salaires pour les travailleurs, tandis que les analystes se demandent par quels moyens il réussira à mettre en place ces mesures. Ce sont, certes, de louables propositions, mais ultra démagogiques dont l’expérience montre qu’elles se réduisent à ceci : pain pour aujourd’hui, chaos pour demain. Simples coïncidences les crises survenues après ces gouvernements ?

Dans cette période d’élections donc, les Argentins sont partagés entre deux options diamétralement opposées. D’une part, la nostalgie des années 2000, où tout semblait aller pour le mieux dans un pays de cocagne, après la terrible crise qui a frappé le pays en 2001, dans des conditions internationales très favorables avec la flambée des prix des matières premières et des produits agricoles comme le soja. D’autre part, l’intention de Mauricio Macri de s’attaquer à la procrastination chronique qui caractérise la classe politique argentine, et qui consiste à remettre d’élection en élection l’exécution des réformes urgentes en accord avec les enjeux politiques du XXIe siècle. Un programme sévère pour les plus démunis (30% de la population sous le seuil de pauvreté), proche d’une économie de guerre.

Les propos d’une manifestante, chef d’une entreprise familiale, résument ce que pensent ces Argentins qui, malgré la difficile situation sociale et économique, ont compris le plan de restructuration macriste stoppé net par une situation internationale extrêmement défavorable : «En 70 ans de gouvernement les péronistes n’ont rien fait. On n’a rien à attendre d’eux dans les quatre années qui viennent ! Le gouvernement actuel a reçu un pays en feu et il a commencé à faire des choses qui ne se faisaient pas depuis des années. On ne peut pas réparer 70 en trois ans !»

Et pour ceux qui se demandent encore où sont passés les taux de croissance de presque 10 % annuels des années 2000, voici des éléments de réponse fort instructifs. D’une clarté poignante, il s’agit d’un extrait d’un article publié l’année dernière intitulé Cette irresponsabilité budgétaire qui plombe l’Argentine depuis 25 ans*, signé par Gabriel Giménez Roche, membre de l’Eastern Economic Association et chercheur associé à l’Institut Économique Molinari : «En 2003, Nestor et Cristina Kirchner prennent les rênes du pays. Dans les années 2000, l’embellie des prix des matières premières (abondantes en Argentine) bénéficiait largement aux secteurs exportateurs. Les hausses dépassaient facilement les 100% par rapport aux périodes précédentes. Le terme de l’échange (la mesure de valeur des exportations par rapport aux importations d’un pays) a bondi de 68% entre 2000 et 2011. Autrement dit, non seulement l’Argentine exportait beaucoup, mais ses exportations valaient énormément par rapport à ce qu’elle importait. […] Ces excédents sont rapidement devenus la principale source de financement de plusieurs mesures populistes. Le gel des loyers, la réduction et le contrôle des tarifs d’énergie, des carburants ou encore des transports donnaient alors l’impression à la population que tout allait vraiment mieux qu’avant. Mais aucune reforme structurelle pour soutenir l’économie à long terme n’a été mise en place pendant cette période d’abondance. […] En conséquence, quand le boom des matières premières a touché à sa fin, le pays s’est retrouvé en eaux troubles…» 

C’est à ce moment que, pour essayer d’endiguer une crise prévisible, M. Kirchner s’est rapproché de son homologue vénézuélien feu Hugo Chavez. À la suite de cette funeste alliance, «le nouveau gouvernement Macri s’est retrouvé face à une dette de 240 milliards de dollars – les Kirchner avaient récupéré le pays avec moins de la moitié du montant – et un déficit budgétaire annuel de presque 10%.» Et pour finir, Gabriel Giménez explique quel était le pari de Macri et les raisons de son échec : «un regain de confiance des investisseurs étrangers qui se traduirait par plus d’investissements et donc d’emploi. Il envisageait de s’attaquer, dans un second temps, à des réformes structurelles profondes des dépenses de l’État. Malheureusement pour lui, les investisseurs ont continué à bouder l’Argentine.»

Eduardo UGOLINI

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