“Oméga”, un nouveau roman de l’écrivaine mexicaine Patricia Rodríguez Saravia

Voici quelques années, la mexicaine Patricia Rodríguez Saravia participait au festival littéraire Belles Latinas en 2007, faisait partager à ses auditeurs son humour et ses idées sur les “avancées” de la science et l’évolution de nos sociétés. Elle venait avec un premier roman paru en traduction française, À la recherche de l’utérus perdu. Les éditions Des femmes-Antoinette Fouque publient une deuxième œuvre, tout aussi drôle, tout aussi riche.

Si on annonce d’entrée que Patricia Rodríguez, en plus d’écrire pièces de théâtre, nouvelles et romans, est médecin et psychiatre, qu’elle est amatrice d’astrologie (elle a tenu une chronique dans une grande revue mexicaine et elle donne des consultations), si on ajoute que dans Oméga elle nous fait partager ses passions, on va peut-être effrayer le lecteur potentiel qui a envie de se divertir tout en s’instruisant, comme on disait naguère. Il aurait pourtant bien tort de se priver d’un tel roman. Anticipation, féminisme, poésie, analyse toujours humoristique des comportements humains, tout est bien là.

Renversant, pourrait-on dire d’Oméga, qui commence par le chapitre 33 pour s’achever au premier. Tout y est un peu bousculé, sauf les valeurs fondamentales, ce qui doit rendre humain l’être humain. Sous des saillies souvent très drôles, Patricia Rodríguez ne néglige jamais l’essentiel.

On est en 2039, tout près du lac Baïkal. Dans un vieux bunker survivent quelques rescapés de la troisième guerre mondiale. Les plus âgés (enfin, selon notre vision obsolète du XXIème siècle) sont ceux qui ont échappé au désastre. Savants et médecins, ils ont pu, en se hâtant, concevoir quelques êtres nouveaux qui vont permettre à l’espèce humaine de ne pas s’éteindre. L’ennui, c’est que, manipulation de fécondation mal maîtrisée ou conséquence du jour du solstice d’hiver de 2039 où, après un bref arrêt, la Terre se mit à tourner à l’envers, le cours de la vie humaine s’inverse lui aussi : les créatures naissent vieilles et finissent fœtus.

Dans le bunker isolé au milieu d’un paysage désolé et désert, cohabitent les rescapés qui mènent une vie « normale » et les nouvelles créatures, semblables en tous points, en dehors de leur étrange trajectoire de vie. On le devine, on est plongé dans un univers absurde et poétique, inquiétant et très drôle, parsemé de digressions scientifiques ou médicales, notre science, notre médecine et notre psychiatrie étant chamboulées par les nouvelles données. Patricia Rodríguez laisse souvent pointer le nez du médecin au cours du récit qui s’enrichit ainsi d’informations sur les conséquences de la guerre bactériologique, ou le nez de l’astrologue qui fait de nombreuses allusions aux influences astrales. Cela donne un ton scientifique qui contraste joliment avec la fantaisie de l’ensemble.

Ajoutons qu’un des vieillards s’éveille à l’amour comme un adolescent, jeunesse et vieillesse deviennent totalement relatives, ce qui constitue une belle leçon d’optimisme. Optimiste, Oméga l’est, à contre-courant de la plupart des romans d’anticipation qui décrivent la fin d’un monde, alors qu’ici, au contraire, nous assistons à sa renaissance, après le cataclysme qui peut-être est proche !

Christian ROINAT

Oméga, de Patricia Rodríguez, traduit de l’espagnol (Mexique) par Anne-Charlotte Chasset, éditions Des femmes-Antoinette Fouque, 250 p., 18 €. SITE