Retour sur l’Argentine de Javier Milei avant Davos

En trois semaines de présidence, le libéral Milei a annoncé trois grands paquets de réformes législatives, cherchant à déroger ou modifier plusieurs centaines de lois. Ce ballet a été ouvert par le Ministre de l’Économie Caputo et ses dix mesures économiques d’urgence. S’ensuivit la publication du DNU, Décret de Nécessité et d’Urgence, puis celle du troisième et dernier pilier de ces réformes, la controversée loi Omnibus.

Photo : TN Argentina

Le 29 décembre dernier est entré en vigueur le Décret de Nécessité et d’Urgence (DNU), méga-décret dont les conséquences sur les relations commerciales et le coût des services sont centrales pour les citoyens argentins. Ce méga-décret, intitulé “Bases pour la reconstruction de l’économie argentine” a pour principal objectif de procéder à la dérégulation de l’économie par la modification de plus de 300 lois qui aurait un impact sur les secteurs immobilier, aéronautique, et commercial mais également sur les secteurs du travail et de la santé. Ces mesures ont été accompagnées par un plan de “stabilisation shock” orthodoxe qui cherche à rééquilibrer le système de change, en diminuant la différence de taux qui existe entre le dollar officiel et le dollar “blue”. 

Après de nombreux soulèvements populaires contre ce méga-décret, Javier Milei a envoyé le 27 décembre dernier au Congrès un nouveau paquet de réformes, connu comme la loi “Omnibus” . Ce projet législatif, nommé officiellement “Ley de Bases y Puntos de Partida para la Libertad de los argentinos” (Loi de bases et points de départ pour la liberté des Argentins), contient selon le nouveau président plus des deux tiers de toutes ses propositions de réformes. Il est composé d’environ 600 articles qui cherchent à modifier une vingtaine de lois. L’un des chapitres du projet est consacré à la réforme de l’État et propose de déclarer “sujettes à la privatisation” toutes les entreprises publiques. Cela concernerait une quarantaine d’entreprises, dont le géant YPF, la Banque Nationale, et l’entreprise Aerolíneas Argentinas. Par ailleurs, le chapitre sur la réforme électorale propose d’éliminer les primaires (connues comme “PASO”, pour “Primarias Abiertas, Simultáneas y Obligatorias”), créées en 2009. Point important, la proposition de loi ajoute de nouvelles limitations aux manifestations en obligeant la demande d’autorisation de toute manifestation réunissant plus de trois personnes et en augmentant les peines de prison pour les organisateurs de réunions qui porteraient atteinte aux axes routiers ou ferroviaires. 

Ces propositions connaissent déjà de lourdes contestations, tant d’un point de vue social avec l’organisation courant décembre de “cacerolazos” mais également juridiques.  De fait, le transfert de pouvoirs législatifs au chef du pouvoir exécutif pose une question fondamentale en démocratie, celle de la séparation des pouvoirs. Ce mercredi 3 janvier, le DNU a connu un premier obstacle sérieux : la réforme du travail a été suspendue par la Conseil des prud’hommes (Cámara del Trabajo)  sur demande de la Confédération Générale du Travail (CGT). Cette mesure provisoire a annulé les changements en matière de travail imposés par le président depuis le 20 décembre. Le gouvernement a annoncé qu’il ferait appel de cette mesure et qu’il déclarerait cette instance comme incompétente pour juger ce litige. Le Congrès va débattre des articles de la “loi Omnibus” lors de sessions extraordinaires convoquées par Milei jusqu’au 31 janvier, mais il faudra attendre l’ouverture des sessions ordinaires, début mars, pour que soit traité dans son intégralité le méga-décret. Beaucoup de spécialistes soulignent que la justice et le parlement constituent de véritables freins aux pouvoirs du gouvernement. De fait, le parti de Milei, la Libertad Avanza, ne possède qu’une quarantaine de sièges à la Chambre des Députés et seulement sept au Sénat, ce qui limite largement son poids dans les débats législatifs. 

Ce programme de restructuration économique a été pourtant salué à plusieurs reprises par le FMI. Ce dernier a annoncé le 10 janvier que l’Argentine bénéficierait d’un prêt de plus de 4 milliards de dollars. “Le décaissement proposé est destiné à soutenir les efforts considérables déployés par les nouvelles autorités pour rétablir la stabilité macroéconomique et aider l’Argentine à satisfaire le besoin de sa balance des paiements”, a déclaré l’institution. En retour, Buenos Aires s’est engagée à atteindre un excédent budgétaire équivalent à 2 % du produit intérieur brut du pays d’ici la fin de l’année.